Le projet, né en 2017 dans les « Labs » de la banque, s'était matérialisé en 2019 sous la forme d'une expérimentation avec une entreprise néerlandaise. Le principe des « Invisible Tickets » consistait, comme leur nom l'indique, à éradiquer la notion même de titre de transport. En lieu et place, une application mobile suit l'usager à la trace, en temps réel, à travers tous ses déplacements, en détectant les modes empruntés et les distances parcourues, de manière à encaisser automatiquement le prix de son trajet à l'arrivée.
En parfait alignement avec la tendance inéluctable vers la finance invisible, se positionnant en quelques sorte comme une déclinaison dans les transports en commun de son incarnation dans l'univers du VTC par Uber, la vision d'une expérience totalement transparente pour le voyageur méritait incontestablement d'être approfondie. Las, le changement de tête au sommet d'ING s'est rapidement accompagné d'une stratégie de rationalisation, écartant systématiquement tout ce qui paraissait un peu audacieux.
L'application est alors partie aux oubliettes, avec son inspiration sous-jacente, à l'issue de son premier test sur le terrain (dont aucun résultat n'a été partagé)… jusqu'à ce que, plus tôt cette année, le prestataire informatique indien Tata Consultancy Service, qui avait contribué à sa réalisation, la rachète, considérant probablement qu'il existait là une extraordinaire opportunité à explorer. Aujourd'hui, cette acquisition débouche sur l'annonce de la distribution de la solution auprès des opérateurs du monde entier.
Bien qu'elle soit tardive et ait de la sorte fait perdre beaucoup de temps et de l'énergie des débuts, la transmission à TCS n'est certainement pas un drame : avec sa présence internationale et sa clientèle existante dans le secteur des transports, le projet possède de bonnes chances de rebondir et de se transformer en vraie réussite. Mais il est tout de même regrettable que, dans une époque où ses concurrentes se gargarisent de « beyond banking » et de « finance enfouie » pour assurer leur avenir, ING se révèle incapable de concrétiser un concept original et prometteur dans ce registre.
Le sort des « Invisible Tickets » constitue une illustration caractéristique de la vie de l'innovation dans les grands groupes, en particulier bancaires. Elle fait parfois émerger des pistes de réflexion intéressantes mais, trop souvent, celles-ci succombent à la combinaison des deux facteurs létaux que sont, d'une part, la lenteur de leur mise en œuvre et, d'autre part, les reversements de priorité qui surviennent régulièrement. À la fin, c'est un acteur plus agile et/ou plus clairvoyant qui tire les marrons du feu.