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Un éloge des lettres

Publié le 27 novembre 2023 par Eric Acouphene

Un éloge des lettres
Je vous propose un éloge des Lettres. Pourquoi donc avons-nous perdu l'habitude de jouer avec elles ? 

Au commencement était le Verbe… Nous connaissons le surgissement de cette phrase initiale dans l’Evangile de Jean, le plus ésotérique. Il s’agit là du Verbe doté d’une majuscule, désignant la parole divine qui crée en énonçant, l’acte de conscience primordial, vierge du discours, qui donne consistance au monde. 

Quelle est l'essence de ce Verbe, sinon la vibration première? Certains mandalas bouddhistes ou hindous nous présentent en leur centre la syllabe primitive d’où tout rayonne, le AUM fondamental d’où émerge toute création. 

Cette primauté accordée au son, dans les traditions spirituelles, n’est pas seulement un reflet des pouvoirs du langage, ni uniquement le signe d’un impact bénéfique sur le corps et l’esprit ou le système nerveux – chant, mantras, poésie ancienne (lyrique, au sens premier du terme). Il est ici surtout  question de ce qui constitue la forme primitive, la plus frêle, la plus insaisissable possible après le silence, la plus proche de celui-ci entendu comme écoute profonde, attention pleine et entière à ce qui peut advenir. 

Fondamentalement, le son primitif révèle la veille dont chacun de nous est capable lorsqu’il fait taire ses pensées inutiles, les phrases où nous nous enfermons comme en une toile d’araignée et qui nous exilent loin, très loin du monde réel. Même les mots peuvent nous emprisonner. Ils qualifient, ils affirment...

Un éloge des lettres

Le petit enfant, lui, échappe aux mots. Il les balbutie, les déforme, en fait des ballons de baudruche ou de la pâte à modeler. Il s’attache à leur fragment le plus infime, la lettre. Il aime les abécédaires colorés, imagés. Bien après les fabuleux enlumineurs du Moyen Age, plusieurs poètes du 19e siècle ont cherché, eux aussi, à revenir aux lettres, leur prêtant couleurs et formes fantaisistes, de Hugo à Rimbaud, en passant par Emile Blémont, moins illustre, auteur d’un bel « Alphabet symbolique » que j’ai la chance de posséder.

La lettre vibre, oui, elle permet au sens de trembler, de s’esquisser à peine sans se fixer. Elle donne une impulsion au mot, lorsqu’elle est placée à sa tête, à sa place d’initiale. Elle nous oblige à revenir à l’instant, celui où l’on émet le son, celui où l’on trace des lignes en effleurant le grain du papier. Dans les poèmes, le mot s’organise autour de ses lettres comme s’il s’agissait de graines fécondes. La lettre le réinscrit dans l’acte même de son apparition. Elle le préserve de toute sclérose, de toute clôture. 

Jouer avec les lettres n'est donc pas anodin, loin s'en faut : cela nous permet de revenir aux faits et à la précision sonore ou gestuelle du présent. Nous réapprenons à prendre les choses « à la lettre » - la lettre vive, puisque une « lettre morte » prive un texte de son sens. Nous rendons ainsi à nos paroles leurs lettres de noblesse,  leur profonde vitalité, leur fraîcheur primordiale.   

Sabine Dewulf

Un éloge des lettres


Sources :  L'Oracle alphamythique - Sabine Dewulf et Antoine Charlet. Illustrations de Marie Dewulf. Livre d'heures de Charles d'Angoulême (15e siècle). Emile Blémont, L'Alphabet symbolique illustré par Auguste Hiolle

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