Quatrième de couverture :
Au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre sans envergure. Mais il a du génie entre les mains.
Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d’une famille prestigieuse, elle a passé son enfance à l’ombre d’un palais génois. Mais elle a trop d’ambition pour se résigner à la place qu’on lui assigne.
Ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer. Au premier regard, ils se reconnaissent et se jurent de ne jamais se quitter. Viola et Mimo ne peuvent ni vivre ensemble, ni rester longtemps loin de l’autre. Liés par une attraction indéfectible, ils traversent des années de fureur quand l’Italie bascule dans le fascisme. Mimo prend sa revanche sur le sort, mais à quoi bon la gloire s’il doit perdre Viola ?
Ce quatrième roman de Jean-Baptiste Andrea – encore une plume que je découvre en ce mois de novembre, et quelle découverte ! – parcourt le vingtième siècle italien à travers deux personnages que tout oppose mais qui se découvriront « jumeaux cosmiques ». Mimo Vitaliani, né pauvre, héritier du talent de sculpteur de son père mort pendant la guerre 14-18, est envoyé comme apprenti chez son « Zio » du Piémont, un alcoolique sans talent qui profitera des dons de Mimo. C’est à Pietra d’Alba qu’il fera la connaissance de Viola Orsini, fille du marquis Orsini, au caractère bien trempé. Tous deux sont physiquement hors-normes ; Mimo ne se rend pas compte (du moins au début) de son « potentiel », Viola, qu’on qualifierait aujourd’hui de personne à haut potentiel intellectuel, rêve de voler mais sa condition de fille et de femme, sa famille étouffent ses ambitions. Une relation complexe va unir Mimo et Viola tout au long de leur vie, amour, amitié, détestation, une relation qui dépassera les préjugés, les limites, et qui les fera vivre intensément.
L’intérêt du roman, outre ces deux personnages flamboyants (inoubliables), c’est le contexte historique, la montée du fascisme en Italie, mais aussi les personnages secondaires : Vittorio et Emmanuele, les amis de Mimo, ainsi que Stefano et Francisco, les frères de Viola, dont l’un sera impliqué jusqu’au cou dans le fascisme et l’autre montera dans la hiérarchie du Vatican (ce personnage en particulier m’a beaucoup intéressée). Et bien sûr, il y a aussi l’art, source d’émotions intenses : la sculpture, la Pietà de Michel-Ange et celle de Mimo, qui provoquera tant de remous qu’elle sera enfermée pour toujours dans un monastère bien gardé, les fresques de Giotto mais aussi l’art du cirque.
La construction du roman est assez classique, avec des aller-retours entre passé et présent, mais elle participe de l’élaboration des personnages, de leur histoire si forte. Jean-Baptiste Andrea, rencontré le 22 novembre grâce à l’excellente librairie Au Temps Lire à Lambersart, expliquait que, dans ce roman, il a osé casser les limites de la temporalité et se lancer dans une histoire au long cours, qui permettait une palette de sentiments plus large. Il dit aussi rechercher la plus grande simplicité. Le résultat : un roman qui se dévore, qui offre de l’aventure, de l’amour, de l’Histoire, de l’émotion, qui parle d’art et de liberté. La dernière phrase, écrite au cordeau, résume à elle seule ce livre passionnant et donne envie de le relire presque aussitôt. Je l’ai terminé en larmes et j’ai été particulièrement émue de rencontrer son auteur si charismatique mercredi dernier.
Il y aurait tant de choses à en dire encore pour lui rendre hommage, mon billet est bien petit mais je tenais à parler de ce roman. J’avoue que je n’ai pas compris certaines critiques, considérant que ce roman est creux. Il est peut-être de bon ton de faire la fine bouche devant un Goncourt dont on comprend tous les mots comme le disait avec humour Mathieu Noël sur France inter le 8 novembre. Je pense, j’espère que la majorité des lecteurs aimeront ce livre.
« Nous parlions italien, mangions. Nous pensions italien , c’est-à-dire à coups de superlatifs où la Mort était souvent invoquée, les larmes abondantes, les mains rarement au repos. On maudissait comme on passait le sel. Notre famille était un cirque, et nous en étions fiers. «
« Je n’ai jamais retrouvé la douceur des printemps de Pietra d’Alba, quand l’aube durait tout le jour. Les pierres du village en agrippaient le rose et le passaient à tout ce qui pouvait le refléter, carreaux, métaux, inclusions de mica dans les rocheux, source miraculeuse, jusqu’aux yeux des habitants. Le rose ne s’éteignait que quand le dernier homme s’endormait, car même la nuit tombée il survivait dans le regard qu’un garçon posait parfois sur une fille, sous la lumière des lampions. Le lendemain demain tout recommençait. Pietra d’Alba, pierre d’aube. »
« D’ailleurs, ils ont l’impression de savoir. Pas tout, mais l’essentiel. Parfois, les avis divergent. Pour tromper l’ennui, on se découvre des ardeurs de commère. C’est un criminel, un défroqué, un réfugié politique. Certains le disent retenu contre son gré – la théorie ne tient pas, on l’a vu partir, et revenir –, d’autres affirment qu’il est là pour sa propre sécurité. Et puis la version la plus populaire, et la plus secrète, car le romantisme n’entre ici qu’en contrebande : il est là pour veiller sur elle. Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. Elle qui patiente depuis quarante ans. »
« Sculpter, c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoires, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper. »
Jean-Baptiste ANDREA, Veiller sur elle, L’Iconoclaste, 2023