Guerre et rÉchauffement climatique : une critique de gray.

Par Francois155

Il a été dit suffisamment de bien du dernier ouvrage de Colin S. Gray dans ces pages pour qu’on puisse se permettre une légère critique. Une thèse, en particulier lorsqu’elle se veut aussi complète, iconoclaste et ambitieuse que la sienne, n’est jamais à l’abri de passages litigieux ou, du moins, que certains lecteurs pourront juger moins pertinents que d’autres. A charge, ensuite, au critique de se faire critiquer, etc. Après tout, c’est ainsi qu’on avance dans la réflexion : en tâtonnant, en s’interrogeant et parfois (souvent…) même en se trompant.

Petit préambule avant que je n’ouvre le feu : je prie les lecteurs qui sont fermement convaincus de la véracité des thèses réchauffistes de ne point agonir votre humble serviteur d’anathèmes parce qu’il doute de leurs croyances. Le sujet est, pour certains, sensible au point que l’aborder au détour d’une simple conversation d’une façon un peu sceptique vous expose aux pires qualificatifs. Je n’ai, en ce domaine, de croyances qu’interrogatives et non péremptoires, ou du moins je m’y efforce. Tâchons donc de rester modérés et courtois même si la problématique est abordée de manière passionnée par certains. Et pour ceux qui s’interrogent sur ce luxe de précautions, je réponds qu’il s’agit simplement d’une volonté de ne pas voir une discussion éventuelle dégénérée en rixe de comptoirs voire en lynchage organisé.

Mais passons maintenant au cœur du sujet et à l’objet du délit : l’argumentaire de Gray sur la liaison qu’il fait entre les possibles guerres futures et le réchauffement climatique (« les changements climatiques », pour être plus précis, mais nous y reviendrons plus loin). Bon, il faut bien constater que cette possibilité est un classique du genre : tout document militaire ou politique sur le sujet des menaces futures se doit quasiment de mentionner les périls liés aux changements climatiques, en termes plus ou moins appuyés selon l’enthousiasme de l’auteur pour la thèse écolo catastrophiste en vogue actuellement.

Vu sous cet angle, Gray n’est pas franchement révolutionnaire, si ce n’est qu’il fait de cette occurrence une quasi-certitude.

Mais que dit-il exactement et en quoi ses propos sont-ils critiquables aussi bien sur le fond que, et c’est encore plus embêtant pour la cohérence de son œuvre, parce qu’ils constituent une sérieuse entorse à la démarche intellectuelle, particulièrement pertinente, qui est la sienne tout au long de son livre ?

1. La thèse de Colin Gray sur le rapport entre changement climatique et guerre future :

D’emblée, on peut dire que l’auteur de « La guerre au XXIe siècle » ne se contente pas d’y faire une vague allusion puisque la question est au cœur de sa « cinquième et dernière prédiction » sur le contexte politique de la guerre future. Il « soupçonne fortement » (quasi-certitude, donc) que celui-ci va être « massivement affecté, peut-être dominé, par les conséquences négatives multidimensionnelles du changement climatique ». Certes, il modère aussitôt après en évoquant une « possibilité incertaine ». Mais, faisant fi de cette précaution sémantique, il rajoute immédiatement : « actuellement, il existe un consensus scientifique convaincant comme quoi : la planète est en train de se réchauffer ; ceci est le résultat des activités humaines ; il est bien trop tard pour arrêter le processus, encore plus pour l’inverser ». Seule petite incertitude à ce futur catastrophique : « le changement climatique sera-t-il graduel ou soudain ? ». De la réponse à cette question, ou il n’y a pas ici consensus, dépendra l’étendue et la violence des guerres à venir directement provoquées par le changement climatique. Mais, de toute façon, et là nous sommes dans le définitif car Gray l’affirme : « le réchauffement de la planète est un fait » (c’est moi qui souligne).

On imagine sans peine les conséquences de ce « fait » sur le contexte politique des guerres futures : moins de ressources, moins d’espaces, des nations entières menacées d’anéantissement par une brusque montée des eaux, etc.

2. En quoi la thèse de Gray est-elle contestable ?

- Elle l’est tout d’abord sur le fond :

Ses affirmations sur le réchauffement climatique, sa réalité et ses causes, loin de faire l’objet d’un « consensus convaincant », sont au contraire fortement remises en cause ou, au minimum, suscitent les doutes de plus en plus appuyés de la communauté scientifique internationale[1]. Comme toujours, le lecteur ne doit pas se laisser abuser par les déclarations péremptoires de personnalités médiatiques, elles-mêmes relayées par des politiciens en panne d’idées, les deux soutenues avec gourmandise par les millénaristes professionnels, ravis de découvrir dans l’hypothèse du « global warming » un nouveau cheval de bataille pour leur combat éternel : l’être humain, ce virus, dévaste la bonne et généreuse planète Terre au point que Dame Nature ne manquera pas de punir cet impétrant, qui l’aura bien cherché, de sa juste colère. L’antienne est connue et a, comme la guerre d’ailleurs, traversé les millénaires. Il y a vingt ans, c’était la couche d’ozone qui devait incessamment se réduire comme peau de chagrin, nous exposant inéluctablement aux feux dévastateurs du soleil ; aujourd’hui c’est le réchauffement climatique qui va faire fondre les pôles et engloutir des continents entiers sous les eaux ; gageons que, dans une génération, nos enfants subiront les discours péremptoires et alarmistes d’autres acharnés de la fin du monde sur une autre partition, elle aussi définitive et ne devant subir aucune contradiction.

Je vais maintenant reprendre les trois éléments du « consensus convaincant » de Gray et émettre une opinion personnelle sur chacun d’eux : le réchauffement climatique global (c'est-à-dire touchant la planète entière), loin d’être une certitude, est, au mieux, une hypothèse largement contredite par certains. Une possibilité non prouvée, donc, peut-être même un mensonge et/ou une erreur. Si ce réchauffement existe bien, accuser l’homme d’en être la cause est encore plus hasardeux : la Terre a connu des périodes de perturbation climatique et l’homme, soit n’existait pas, soit ne produisait pas de ces fameux « gaz à effet de serre » supposés responsables de tous nos maux. Quant à la dernière occurrence, comme quoi il est trop tard pour freiner ou inverser le processus, au vu de ce qui précède, mérite-t-elle seulement l’examen ?

À partir de là, le lecteur pourra m’opposer deux critiques : la première étant que l’opinion émise ci-dessus, et réfutant pour l’essentiel la thèse du réchauffement climatique catastrophique global causé par l’homme, est peut-être fausse. Sur ce point, il aura raison : je peux parfaitement me tromper et ne prétends, d’ailleurs, à aucune certitude. Simplement, cette hypothèse est tout simplement trop aléatoire et tendancieuse, trop invérifiable et sujette à caution pour qu’on l’utilise comme l’un des fondements d’un exercice de prospective sur le futur de la guerre.

Deuxièmement, on pourra m’opposer que le boulot de Gray est, justement, de prendre en compte toutes les hypothèses dans son travail de recherche. Du reste, dans sa conclusion, l’auteur présente un bouleversement climatique soudain comme l’exemple même d’une surprise stratégique extrême, par définition difficilement prédictible. Certes, mais à ce niveau de certitude, on aurait également pu s’attendre à un chapitre sur le débarquement d’extraterrestres plus ou moins agressifs, à la possible mutation d’une espèce d’insectes devenue soudainement dominatrice, organisée et belliqueuse, que sais-je encore ? En tout état de cause, de la science-fiction plus qu’un exercice de prospective stratégique. Un genre tout à fait divertissant, mais qui ne répond pas aux mêmes canons et exigences.

Mais il y a plus grave, pour l’argumentaire de Gray, que cette querelle quasi idéologique et dont, probablement, nous ne connaîtrons pas la juste réponse de nos vivants.

- En soutenant la thèse du changement climatique, Gray commet une erreur méthodologique qui affaiblit son argumentaire :

L’un des plus grands mérites de son livre est de présenter la guerre future comme la continuation, la perpétuation de la guerre ancienne par d’autres moyens, mais animée par les mêmes intentions et, surtout, jouée par toujours le même acteur : l’homme qui ne change pas sa nature profonde à travers les âges.

On peut tenter de résumer (très, très grossièrement) le cheminement intellectuel de ce « classique réaliste » par l’insistance sur deux constantes :

- La guerre reste la guerre. Sa nature, si bien décrite par Clausewitz, ne change pas parce que son acteur, l’homme, reste mu par les mêmes pulsions, si bien rapportées par Thucydide : la peur, l’honneur et l’intérêt. La guerre est donc un objet politique d’abord, social et culturel, ensuite, un exercice technique, enfin. Or, les bouleversements sociaux, culturels et techniques que nous pensons vivre et avoir vécu ne sont pas aussi bouleversants que cela au regard de la nature de la guerre qui n’en a été que modestement ou pas du tout modifiée. C’est ainsi que Gray se plaît à démontrer, avec un certain talent, que les appellations jargonnantes, les théories postmodernes sur la guerre, les RMA, Transformation ou 4GW ne sont, au mieux, que de brillantes constructions intellectuelles décrivant, pour l’essentiel, des données déjà connues et depuis longtemps perceptibles.

Or, ayant fait cela brillamment, ne voilà-t-il pas qu’il plonge lui-même hardiment dans le travers qu’il dénonce en s’emparant d’un concept (le réchauffement climatique) on ne peut plus postmoderne, « in » et bien-pensant, on n’ose dire « bobo », pour le mettre à l’une des bases de sa thèse, elle-même pourtant ultraclassique, et c’est justement ce qui fait sa force. Il y a là une bizarrerie intellectuelle qui frappe le lecteur et détone franchement avec le reste de l’ouvrage. Mais pourquoi donc Gray est-il allé se commettre avec cette fumeuse hypothèse, comme le premier acteur hollywoodien venu, se demande-t-on parfois ? D’autant que son argumentaire n’avait nullement besoin de cette fantaisie au regard de l’Histoire, l’autre grande constante qui nourrit ses pensées.

- L’Histoire est notre meilleur chemin vers la compréhension de l’avenir de la guerre. Tel est, en substance, le second message de Colin Gray, avec lequel on ne peut qu’être en accord et, justement, ne point comprendre l’irruption du phénomène « changement climatique » dans l’équation. Car, d’une part, si l’on veut parler de catastrophe naturelle ou météorologique ayant plongé les peuples dans un désarroi tel qu’ils les ont menés à des guerres, inter étatiques ou non, nul besoin d’attendre les gaz à effets de serre : l’histoire est pleine de conquêtes et de conflits ayant pour origine l’envie de richesses ou d’espaces présents chez les autres et dont on ressentait soi-même le besoin parce qu’ils manquaient ou sont venus à manquer du fait de conditions environnementales défavorables, des raids vikings aux invasions barbares du Moyen-âge.

S’il s’agit, d’autre part, de pointer du doigt les nouveaux motifs de conflictualité qui pourraient naître de la pénurie de denrées essentielles de base, là encore, rien de nouveau sous le soleil, si l’on ose dire, et nul besoin d’invoquer un très hypothétique réchauffement climatique. La réalité de ce nouveau siècle en ces domaines est en fait tragiquement simple : la population mondiale s’accroit, en particulier dans certaines aires géographiques pas toujours très stables politiquement ni très aimables militairement. Il faut nourrir tous ces gens, leur assurer un niveau de vie décent, les chauffer, etc. Ce qui suppose des ressources alimentaires et énergétiques qui ne sont pas, à l’évidence, infiniment extensibles. D’où des appétits de conquête, d’où des guerres possibles. Il est vrai que si, en plus de cet accroissement naturel des besoins, des changements climatiques brutaux venaient à survenir, les choses se compliqueraient, mais, là encore, pas plus ou pas moins que, disons, la survenue soudaine d’une maladie qui décimerait les cultures vivrières ou que la disparition soudaine des énergies fossiles par quelque caprice naturel. Toutes hypothèses qui peuvent bien sûr arriver, mais relèvent, là encore, plus de la science-fiction catastrophiste que de la prospective stratégique stricto sensu.

Là encore, on constate que Colin Gray enrobe une très vieille chose, la géopolitique des ressources si je ne m’abuse, d’un concept hasardeux en lui accordant une place prépondérante qu’il ne mérite probablement pas.

CONCLUSION :

Bon, tout ceci étant dit, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ni prendre les opinions de votre serviteur au pied de la lettre. En effet, libre à chacun de croire en la justesse de la thèse du réchauffement climatique et d’en tirer les inévitables conséquences qui s’imposent. L’argumentaire de Gray me semble contestable sur ce point bien précis qui n’occupe, soyons francs, que quelques pages d’un livre fort touffu, ce qui ne signifie pas qu’il est faux. Simplement que nous pouvons en discuter.

Il y a, du reste, deux éléments qui sont justes dans cette hypothèse : d’une part, elle peut effectivement constituer une surprise stratégique d’envergure, si elle se réalisait de façon brutale, et modifier profondément l’environnement géostratégique mondial.

Il y a d’autre part, et au-delà de la question qui se pose sur la véracité, ou non, de la thèse réchauffiste, la question de la perception de ces questions dans l’opinion publique et l’esprit des décideurs politiques actuels. En effet, une menace perçue comme réelle (même si elle est fausse par ailleurs) entraîne plus de décisions problématiques et potentiellement conflictuelles qu’un vrai danger qu’on ignore. En ce sens, le réchauffement climatique, et la peur qu’il fait planer sur les esprits, peut fort bien n’être qu’une élucubration : si chacun le croit vrai, il influera nécessairement sur l’avenir du monde.



[1] L’auteur de ce blog n’ayant ni l’envie ni les compétences pour aborder en détail les aspects purement scientifiques de ces doutes, il encourage les lecteurs intéressés à visiter ce site de référence, et les liens qu’il propose, pour se faire une idée de l’ampleur de ce « non-consensus ». Le résultat est assez éclairant et incite, au minimum, à la circonspection sur la véracité des thèses réchauffistes.