L’Homme-Joie de Christian Bobin

Par Etcetera
Couverture chez Folio

J’ai lu ce livre pour mon cercle de lecture, un choix qui me convenait parfaitement car j’avais déjà eu l’occasion de lire avec plaisir « La Présence pure » de Christian Bobin et je gardais l’envie très vive de relire cet auteur un jour.
Je n’avais pas consacré d’article à cet écrivain-poète au moment de sa mort, le 23 novembre 2022, mais aujourd’hui, presque un an plus tard, je souhaitais commémorer cette date et lui rendre hommage ainsi.

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : Folio (initialement : l’Iconoclaste) 
Date de Première publication : 2012 
Nombre de pages : 165

Biographie de l’auteur

Christian Bobin est né en 1951 au Creusot.
Il est l’auteur d’ouvrages dont les titres s’éclairent les uns les autres comme les fragments d’un seul puzzle. Entre autres : Souveraineté du vide, Le Très-Bas, La Part manquante, La Plus que vive, La Présence pure, L’Homme-joie, La Grande vie, Noireclaire, Un Bruit de balançoire, La Nuit du Cœur et Pierre. Il a reçu le Prix d’Académie 2016 pour l’ensemble de son œuvre.
Christian Bobin est décédé en novembre 2022.
(Source : éditeur)

Brève Présentation

En dix-huit courts chapitres, qui peuvent se lire chacun indépendamment des autres et qui sont comme autant de proses poétiques, Christian Bobin nous parle de l’émerveillement d’être en vie, d’observer la nature et la beauté de la Création et des relations humaines. Il a perdu son épouse et son père est atteint d’Alzheimer mais il trouve encore la capacité de surmonter ces souffrances et de trouver une joie spirituelle. Il nous parle aussi de Pierre Soulages, de la musique de Bach jouée par Menuhin et Oïstrakh, des lauriers-roses au printemps, il dresse les portraits de ses amis…

Mon Avis 

C’est un livre d’une grande poésie et qui fait la part belle à la lumière, aux anges, aux fleurs, à la couleur bleue et à la beauté. On pourrait imaginer, à la vue du titre, que l’auteur ne parle que des côtés heureux et positifs de l’existence et que nous allons flotter dans la béatitude la plus complète mais ce n’est pas une vision exacte de ce livre car il est beaucoup question de souffrance – à travers le deuil de son épouse et à travers la maladie d’Alzheimer de son père, qui se retrouve dans un Ehpad. Christian Bobin n’ignore pas les ténèbres – il consacre par exemple un très beau chapitre à la peinture de Pierre Soulages – mais il semble toujours s’élever au-dessus de cette obscurité et finir par trouver l’apaisement et la lumière. J’ai préféré les textes qui osent se confronter à cette part de ténèbres ou de souffrance plutôt que ceux qui baignent un peu plus dans la félicité radieuse – ce qui correspond probablement à l’image d’une réalité qui n’est pas entièrement rose et rassurante.
Les feuillets bleus, au milieu du livre, reproduisent l’écriture manuscrite de Christian Bobin et nous offrent une lettre très touchante, adressée à sa défunte compagne, où la croyance en une Providence et dans un possible au-delà transparaît en filigrane, si on tente de lire entre les lignes.
Ce que j’apprécie tout particulièrement dans ce livre c’est la forme adoptée, ces minces chapitres qui sont comme de courtes nouvelles ou qui peuvent aussi être lues comme des poèmes en prose, ou encore comme les pages d’un journal intime ou même d’un essai littéraire – cette hybridation des genres est très séduisante et convaincante – et le fait d’intercaler des courtes réflexions ou des aphorismes en écriture manuscrite donne encore davantage l’impression d’un style spontané, créé avec naturel, presque au fil de la plume.
Un très beau livre, d’où se dégagent une lumière et une grâce assez rares !

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Un Extrait page 79

J’aimerais écrire un livre qu’on pourrait lire même après avoir perdu son amour. Cet homme qui vient de perdre sa femme ne parvient plus à lire : « Je ne veux pas que les livres me trompent. » J’entends : « Je ne veux pas que les livres ni rien au monde m’éloigne une seule seconde de ma gisante de lumière, interrompe ma contemplation de la gueule ouverte du néant, de ses dents de marbre qui à la fin broient tout ce que nous connaissions de plus précieux. » Pendant qu’il parle, les lauriers-roses de son jardin tournent en neige : le jour tombe, les fleurs entrent en lutte avec les ténèbres. Le visage de mon ami brûle sous les lumières roses. Cherchant son épouse dans les ténèbres, il n’y trouve que lui. Je comprends sa méfiance devant l’écriture. La souffrance que nous avons de notre amour est encore notre amour, l’empêche de glisser au noir comme l’y feraient glisser les affreuses consolations. D’autres fleurs errent dans le jardin. Dans la journée leur bleu a failli me rendre aveugle. (…)

Un Extrait page 116

Un jour un médecin s’est trompé, m’a fait pour apaiser les douleurs d’un calcul la mauvaise piqûre : en quelques instants mon visage et ma poitrine se sont couverts d’un rouge tomate et ma tension est tombée à trois. Le médecin pour contrer la réaction d’allergie a brisé une ampoule et mon père m’a tenu la main. J’avais les yeux clos, je n’entendais plus rien. Je ne sentais plus que cette main paternelle. Je me suis fait assez petit pour qu’elle m’abrite tout entier, je me suis réfugié corps et âme en elle. Elle était devenue, cette main un peu lourde à la chair plissée, mon asile, ma certitude, toute ma croyance. Les mains d’Oïstrakh et celles de Menuhin tiennent semblablement la main divine de la vie, la retiennent de passer du rouge au noir puis au glacé. La beauté a puissance de résurrection. Il suffit de voir et d’entendre. C’est par distraction que nous n’entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction.