Les longueurs

Publié le 20 novembre 2023 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

«Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t’a fait un sale coup? Je peux t’aider? Je te dépose au collège?» Outre noire. Peinture. Soulages. Cours d’art plastique avec Mme Peynat en salle 2B. Concentre-toi, Lili. Trouve la solution. Il y a toujours une voie de réchappe. Les mamans savent, à peu près. D’instinct, elles devinent. À peu près. La mienne sait que dans sa fille quelque chose ne marche plus.

La couverture du livre est déjà pesante. On est dans la tête d’Alice, 15 ans, à hauteur de ses émotions, de ses sensations corporelles, de ses sentiments. Depuis l’âge de sept ans, ALice est sous l’emprise de Mondjo, Georges, le meilleur ami de sa mère, qui, au bout de huit ans, va partager sa vie. Mondjo est entraîneur dans un club d’escalade. Mondjo est un pédophile, un pervers manipulateur de la pire espèce. Mais bien sûr, Alice n’en a pas conscience. Au moment où commence son récit, elle est très mal dans sa peau, prisonnière d’un secret étouffant. Et en même temps, elle a toujours des sentiments pour Mondjo, elle ne veut pas lui créer d’ennuis. Ni subir les affres qu’il lui promet depuis toujours si elle révèle leur histoire. Le roman alterne entre le présent et le passé, depuis les sept ans d’Alice, à qui Mondjo a donné un autre prénom pour mieux la posséder. Depuis huit ans, « Anna » croit que l’amour, c’est ce que lui fait vivre cet homme. Depuis huit ans, Alice croit normal d’être agressée comme elle l’est (mais bien sûr, elle ne sait pas que c’est une agression), elle croit de séduire des garçons bien plus âgés qu’elle et même les amants de sa mère, qui ne voit rien des manigances de Mondjo malgré la relation de confiance qu’elle a avec sa fille.

Alice va-t-elle sortir de cet enfer ? Va-t-elle trouver la personne à qui parler enfin de ce terrible secret ? Son père, loin d’elle aux Etats-Unis, un prof, sa meilleure amie, une autre fille dont elle devine qu’elle est elle aussi victime du même pédophile ? On est glacé d’effroi devant les agissements de cet homme, devant l’innocence bafouée d’Alice, et on se demande pendant longtemps si la jeune fille va trouver une issue à ce cauchemar. Le suspense est éprouvant. Claire Castillon est au plus près des pensées et des émotions de l’adolescente mais on perçoit aussi les insupportables procédés de l’agresseur, le silence de la mère (dont on peut se demander si elle est « complice »). Les personnages sont bien construits et expriment la complexité des relations, du « problème ». Encore une fois, comme dans River, la romancière a su s’emparer d’un sujet ultra-sensible et l’a traité avec authenticité, avec justesse. Elle m’a cloué le coeur.

« Au lycée, on nous a parlé de prédateurs sexuels. Des gens qui prennent l’ascendant. Puis qui font des choses. Souvent des connaissances. Cousins, oncles, amis de la famille. Parents, tous proches de l’enfant. Mais moi, j’ai quinze ans et je ne suis plus une enfant. C’est différent puisque je vis une histoire d’amour au long cours. Un jour, avec Mondjo, on se mariera. On a commencé tôt, d’accord, mais on se mariera. »

« Les fessées, les gifles, quand on est amoureux, ce sont des caresses. Les mots, rien que des poésies. »

« On pourrait arrêter le sexe quelques temps, parce que j’ai de plus en plus mal, mais je n’ose pas le lui demander. On pourrait juste aller se promener, ou au cinéma, même dormir ensemble aux prochaines compétitions, mais on n’est pas obligés de le faire à chaque fois. A priori, dans un couple, on peut dire non. Au lycée, on a eu une conférence sur la sexualité. Faut y aller seulement si les deux sont d’accord et qu’aucun des deux n’a d’ascendant sur l’autre.
Mon corps est à moi. Pourquoi Mondjo dit toujours que je suis à lui ? »

Claire CASTILLON, Les longueurs, Gallimard Jeunesse, Collection Scripto, 2022