Aujourd'hui, je vous propose la note de lecture que j'ai rédigée à propos du dernier livre de Jean-Marc Mantel, "L’immédiateté d’être", paru aux éditions Accarias-L’Originel en 2023 (190 pages, 18 euros). Un ouvrage réellement vivifiant.
Ouvrir un livre de Jean-Marc Mantel, c’est être immédiatement immergé dans une clarté concise. Disciple de Jean Klein, cet instructeur se situe dans la perspective d’un enseignement non duel. En dépit de mes (vives) réticences vis-à-vis des facilités et de la superficialité qui caractérisent souvent ce mouvement spirituel en vogue, il me semble pouvoir reconnaître l’authenticité de certains enseignants. Tel est, à mes yeux, le cas de Jean-Marc Mantel, dont les livres ne sont pas des objets à consommer intellectuellement mais des bains revigorants, à tenir près de soi pour s’y replonger régulièrement.
Cet ouvrage est composé d’une note aux lecteurs qui en précise le contexte (des discussions présentes dans le forum du site de cet instructeur), de dédicaces, au premier rang desquels apparaît le nom de Jean Klein, d'une introduction précise, rédigée par Bernard Seghezzi, puis de trois grandes « parties », respectivement intitulées « Le monde en soi », « La réalisation spirituelle » et « La grâce ». Chacune de ces sections est divisée en chapitres numérotés (une dizaine environ) et titrés, ce qui permet aussi d’entrer dans le livre d’une manière non linéaire. Le livre s’achève sur un choix de citations de Jean-Marc Mantel.
Dans son introduction, Bernard Seghezzi met en lumière les points saillants de cet enseignement : « l’accent est mis, en priorité, sur l’écoute du corps et du souffle. » L’« ancrage au corps énergétique », ajoute-t-il, « mérite d’être maintenu non seulement lors de méditations formelles, mais également au cours des activités de la journée ». Il insiste sur l’importance de « l’accueil vigilant de l’activité projective des pensées et des mémoires » et sur la nécessité d’un « apprentissage » et d’une « écoute sans relâche »… À ce sujet, Jean-Marc Mantel précise dans le livre qu’il est question d’ « apprendre à vous libérer de ce que vous n’êtes pas » et non d’apprendre « à être ce que vous êtes » : il n’y a pas d’« effort » à fournir, mais un « total abandon ». Le paradoxe réside donc dans le fait que cet apprentissage se fait sans « objet » ni « chemin », précise encore Bernard Seghezzi, si l’on veut voir s’accomplir « le retournement de perspective » qui permet de revenir à « notre identité sans forme ».
Dans la première grande partie, Jean-Marc Mantel répond à des questions liées à notre incarnation. Il évoque la « sincérité » et la « détermination » nécessaires à la remise en cause des « habitudes d’identification au spectacle objectif ». Il définit le critère de reconnaissance du « bien » comme le « ressenti indéniable de ce qu’est la justesse dans l’action », contrairement au fait de « répéter mécaniquement ce qui est dit ». Notons au passage que ce ressenti n’est pas de nature émotionnelle puisque l’enseignant le compare à celui d’un « musicien averti », qui « reconnaît instantanément la fausse note qui jaillit de son instrument ». Il importe que toute action soit « vue dans sa totalité, incluant les fruits dont elle porteuse » et qu’il y ait des « ajustements » en direction d’une « cohérence entre la conscience, l’action et ses fruits ». Jean-Marc Mantel s’inscrit volontiers dans le cadre de nos expériences quotidiennes en répondant à des questions sur l’éducation des enfants, sur l’intérêt de la physique moderne, sur la méditation, notamment en tant que travail sur les pensées, ou sur la béatitude du sommeil profond. Il redéfinit aussi certains concepts et incite à la prudence lorsque l’on utilise le terme de « réincarnation ».
Dans la deuxième partie (la plus longue), Jean-Marc Mantel aborde l’inépuisable domaine de « l’absolu », qu’il nomme « conscience » ou « essence de la manifestation » : « L’absolu est aussi indissociable de la conscience que l’air pour le vent. » Il indique que cette conscience se distingue à la fois de la « pensée » et de l’« absence de pensée », qui sont toutes deux des objets de conscience. Il prend soin de définir ce que nous nommons « réalité » : « Lorsque vous percevez un arbre, vous n’en percevez que la perception qui émerge en vous : forme, couleur, sensation. » En d’autres endroits du livre, l’enseignant rend synonymes les termes « témoin », « attention», « présence », « écoute absolue », « regard d'arrière-plan », « sans-forme », « vigilance », « Soi sans attribut », « amour » (c’est-à-dire qui « ne connaît pas la division ») ou encore « liberté véritable », celle-ci ne concernant nullement les actions « conditionnées » dont nous croyons être les auteurs : « le libre choix n’est qu’un concept inventé par l’ego pour faire croire que c’est lui qui détient les rênes du pouvoir ». Quant au monde relatif, loin de le renier, Jean-Marc Mantel le remet simplement à la place qui est la sienne, puisqu’il est « l’expression restreinte de l’absolu » ; il n’y a rien d’autre que l’absolu, oui, mais seulement « sur le plan ultime » : « le relatif est nécessairement pris en compte dans le fonctionnement spatio-temporel. Si vous ne savez pas conduire votre voiture, se répéter « je suis le Soi » ne suffira pas à éviter qu’elle ne rentre dans le mur. » Il compare notre mental à un « bavard impénitent » face auquel le mieux est d’« ignorer le contenu de ses paroles »… Tout comme Daniel Morin dans « Je, ne sait pas », publié chez le même éditeur, il affirme : « Le mental ne peut alors qu’abdiquer sa prétention au savoir. Lorsqu’il dit : « Je sais », il ne sait pas. Lorsqu’il dit : « Je ne sais pas », il sait. » Jean-Marc Mantel me semble rejoindre également Swâmi Prajnanpad lorsque celui-ci précisait qu’il s’agit d’être « activement passif » : « Le « laisser-faire » n’est pas une posture passive. » J’aime qu’il réhabilite par ailleurs la notion de « vérité », si discréditée de nos jours : « On ne peut donc pas dire que la vérité n’existe pas, car c’est elle qui fait le constat du faux. Comment le faux pourrait-il se constater lui-même ? »
La troisième partie associe la « grâce » à la « joie propre à la dissolution du moi », à la « gratitude » (comme l’indique l’étymologie) ou encore à la « sainte ivresse ». Pour s’y ouvrir, l’« humilité » du non savoir est nécessaire, l’ « émerveillement » aussi, ainsi que « l’amour purifié de l’objet » : « l’amour est votre nature ».
Les réponses de Jean-Marc Mantel sont brèves, la plupart du temps. Elles vont toujours droit au but, empêchant notre mental de s’égarer, de se complaire dans les voies sinueuses qu’il affectionne. Nous avons beau avoir entendu maintes fois (et donc penser déjà connaître) le fond de tout ce qui se dit ici, en réalité, nous ne l’écoutons pas vraiment. Il est donc utile de se replonger, encore et encore, dans la vitalité de la parole qui se déploie dans cet ouvrage, afin que ce que nous sommes vraiment se rappelle à nous et que l’épaisseur de nos illusions diminue toujours davantage.
Pour terminer, voici quelques citations qui m'ont paru particulièrement incisives :
« Un fait constaté n’est pas un problème. Un fait interprété le devient. »
« La diversité est dans l’expression, mais non dans l’essence. »
« Le regard du Soi surplombe le moi, tout comme le sommet de la montagne surplombe la vallée. »
« L’action surgit comme la foudre dans le ciel, ne laissant ni doute, ni regret. »
« La lucidité est une fonction de la nature autolumineuse de la conscience pure. C’est elle qui reconnaît le faux. »
« Voyez que ce qui perçoit vos sensations, émotions et pensées ne dort pas. »
« Lorsque le sucre est plongé dans l’eau, il peut croire encore, pour quelque temps, à son autonomie, tant que la dissolution n’est pas complète. Une fois dissous, il n’y pas de sucre, juste de l’eau. Il en est de même pour la distance qui sépare le moi du Soi. »
« L’objet agit comme un miroir qui renvoie la conscience à elle-même. »
« C’est l’écoute elle-même qui est la plénitude silencieuse, à partir de laquelle le bruit et l’absence de bruit sont connus. »
« La lenteur est ce qui s’approche le plus de l’immuable. »
« La tristesse est l’ombre de la joie. »
« Voyez si c’est le moi qui cherche la plénitude, ou bien si c’est la plénitude qui se cherche elle-même. »
« La présence transcende la souffrance et son absence. »
« Le silence est le rire ultime. »
« La vie active est votre autel d’adoration. Elle est l’espace-temps qui permet l’expression de l’amour que vous êtes. »
Sabine Dewulf (docteur ès lettres, écrivain et psychanalyste)