Dans sa double carrière de peintre et de sculpteur, Gérôme n’a pas cessé de peindre des statues, dans les deux sens du terme : en les intégrant dans ses tableaux et en leur ajoutant une polychromie. Il est à ce titre reconnu comme un acteur majeur du paragone au XIXème siècle [1].
Variations sur Tanagra
Tanagra (photogravure Goupil)
Gérôme, 1890, Musée Orsay
Au Salon de 1890, Gérôme, un des artistes les plus connus au monde, fait sensation et scandale en exposant cette statue en marbre, recouverte d’une polychromie hyperréaliste (qui a pratiquement disparu aujourd’hui) [2].
Travail du marbre ou L’artiste sculptant Tanagra
Gérôme, 1890, Dahesh Museum of Art New York.
La même année, il livre cet autoportrait quelque peu déconcertant. Car Gérôme, comme beaucoup de sculpteurs de l’époque, faisait réaliser ses statues de marbre par des praticiens à partir d’un plâtre. Le titre laisse penser que c’est la statue finale qu’il a fait revenir dans l’atelier pour se réserver le travail le plus noble et le plus minutieux, la finition qui donne vie à la matière ; et que, dans un excès de scrupule, il a fait monter le modèle sur le plateau de la statue, afin de comparer le grain des cuisses.
Or personne ne polit du marbre à la spatule : c’est donc bien le travail du plâtre que Gérôme nous donne à voir, tout en nous disant l’inverse. Loin d’être un mensonge grossier , le titre est à comprendre comme la revendication du droit du Peintre à tromper. La mise en scène est calculée pour rendre équivalents le futur marbre, le présent plâtre, et la peau du modèle, tout comme la polychromie de la Tanagra rendait indiscernable marbre et chair.
A la fois sculpteur et peintre, c’est au second que Gérôme, par le titre du tableau, semble ici accorder la victoire, dans ce débat du paragone qu’il organise entre lui-même et lui-même.
Arguments pour le paragone (SCOOP !)
La statuette dansante, à droite sur le piédestal, est celle même que Gérôme mettra, en miniature, dans la main de sa Tanagra grandeur nature. On remarquera que, pour le tableau, la statue a probablement été recopiée d’après la photographie Goupil : manière d’impliquer dans le débat séculaire un tout nouvel acteur : le photographe.
Tandis que les traits jaunes illustrent la capacité du Sculpteur à réduire ou augmenter la taille à l’identique, les traits bleus non parallèles, qui prouvent que le plâtre n’est pas un simple décalque du modèle, magnifient la spécialité du Peintre : traduire le volume par la perspective.
Les gants en peau de chamois sont une trouvaille magistrale, suggérant à la fois :
- la délicatesse du toucher ;
- le fini de la statue , et la douceur de son grain ;
- l’isolement supérieur de l’Artiste, dont la peau ne touche ni celle de sa Créature, ni celle de son Modèle.
Des deux mains gantées, l’oeil passe au bras gauche de la statue, puis au buste du modèle. Il prend alors conscience d’une nouvelle astuce de cette composition à tiroirs : le point de vue choisi fait que le bras gauche de la statue vient se greffer visuellement là où se trouverait le bras droit du modèle.
Gérôme-peintre réalise sous nos yeux un tour de force que Gérôme-sculpteur ne peut qu’approcher : une chimère plâtre-chair.
En élargissant encore le champ de vision, l’oeil s’intéresse au tableau dans le tableau, une autocitation du Pygmalion et Galathée peint par Gérôme la même année 1890 : mythe incontournable pour un artiste passionné par le paragone. On distingue de gauche à droite :
- le sculpteur,
- sa statue de marbre en train de prendre vie
- en guise de deus ex machina, un Cupidon en vol (envoyé par Vénus pour exaucer le souhait de Pygmalion).
Autrement dit l’écho même de la composition principale :
- Gérôme
- la figure double marbre et chair
- la figurine joueuse en mouvement.
Travail du marbre ou L’artiste sculptant Tanagra, Gérôme, 1890, Dahesh Museum of Art New York. L’artiste et son modèle, Gérôme, 1894, Haggin Museum, Stockton
La copie de 1894, quasi identique, mis à part quelques bibelots supplémentaires, a pour principal intérêt de montrer à l’arrière-plan un tableau différent :
Non seulement Pygmalion est passé à droite de Galathée, mais celle-ci est maintenant vue de dos. Ces deux versions recto et verso sont des peintures de Gérôme qui ont réellement existé, nous y reviendrons plus loin.
Le recto-verso comme procédé (SCOOP !)
La pose « Phryné »
Mariette (Marie-Christine Roux) , 1855, Wilson Centre for Photography [3] Gérôme, Phryné dévoilée devant l’Aréopage 1861, Kunsthalle, Hambourg
Pour réaliser ce tableau, Gérôme avait commandé à Nadar un tirage de sa photographie de Marie-Christine Roux, un modèle connu que lui-même employait parfois. Malgré les idéalisations qui s’imposaient (suppression des poils, oeil timide exprimant la honte), le nu fut jugé scandaleux et fit la réputation du tableau, deux ans avant le Déjeuner sur l’herbe de Manet.
Gérôme, La naissance de Vénus (l’Etoile), 1890, collection privée Gérôme dans son atelier, 1891
Dans cette photographie très composée, Gérôme se met en scène dans une reprise de sa pose fétiche, cette fois vue de dos. Cette ‘Phrynée » de chair, mais inversée, fait système avec le « tableau dans la photographie », la Vénus vue de face qu’il venait d’achever.
Pour Jean-François Corpataux ([4], p 149), il s’agirait d’un jeu érudit et auto-promoteur, dans lequel Gérôme se met à la place du célèbre peintre Apelle. Car Phryné, selon un texte antique d’Athénée, ne se montrait jamais nue sauf le jour des Saturnales « laissant flotter sa chevelure, sans aucun noeud, pour entrer dans la mer. Ce fut à cet instant que le peintre Apelle la considéra toute nue pour faire sa Vénus sortant des ondes. »
On peut aussi y voir, dans cette année 1890 qui marque l’apogée des réflexions de Gérôme sur le paragone, une nouvelle pièce versée au débat sur la concurrence des Arts, cette fois entre peinture et photographie. A la fois peintre et sculpteur, Gérôme ne pouvait être que fasciné par les possibilités du nouveau mode d’expression.
1884, Ermitage 1886, Walters Art Gallery Baltimore
Gérôme, Vente d’esclaves à Rome
L’arrière-plan théorique mis à part, les variations recto-verso étaient aussi un procédé commode pour ruser avec les répétions, inévitables dans cette production prolifique. D’autant que, aux yeux de ceux qui s’en rendaient compte, elles rehaussaient le prestige d’un peintre-sculpteur capable d’imaginer, en trois dimensions, une scène sous tous les angles.
Phryné dévoilée devant l’Aréopage, 1861 (détail) La fin de la pose, 1886, collection privée
Le procédé de l’inversion recto-verso, combiné avec l’autocitation, devient ici une véritable méthode de composition :
- le vieux grec assis dans l’ombre est remplacé par le sculpteur en pleine lumière ;
- celui qui dévoile, vu de face, s’inverse dans celle qui voile, vue de dos ;
- la fille à la chair marmoréenne, qui n’avait que son coude pour tenter de se protéger, devient une statue d’argile, au visage caché par le drap.
Ce voile qui protège l’une vient en contrepoint de celui qu’on arrache à l’autre, profanant la Beauté (voir l’agrafe qui vole et l’écharpe tombée par terre, avec le mot ΚΑΛΗ). Si les deux carrés de marbre, blanc et noir, symbolisent l’issue du jugement de Phryné, alors les vieillards diversement lubriques se placent du côté de l’acquittement, tandis que Gérôme, avec sa signature, se place du côté de la condamnation. Comme le remarque Sarah J.Lippert [3a], il y a probablement là une prise de position contre le nu académique, égrillard sous l’alibi de la Beauté, que Gérôme assimile ici à une sorte de déshabillage en public.
Vingt cinq ans plus tard, dans La fin de la pose, sa maîtrise du paragone lui permet de proposer des nus qui échappent à l’exhibitionnisme, et donnent plutôt à voir les conditions de réalisation de l’oeuvre.
D’une certaine manière, Phryné ou la Peinture est vengée par Omphale ou la Sculpture (nous reviendrons plus loin sur cette statue emblématique).
Gérôme et trois fantasmes du sculpteur
Le sculpteur comme gladiateur
Jean-Léon Gérôme et le Gladiateur, 1878
En 1878, Gérôme, peintre au sommet de la reconnaissance et des honneurs, remet tout en cause et repart à zéro dans une nouvelle carrière : celle de sculpteur. Le sujet du Gladiateur triomphant est à la fois une autocitation (ses tableaux sur le sujet sont célèbres) et une provocation : le gladiateur, c’est évidemment lui-même, se proclamant d’emblée vainqueur de ce nouveau combat.
Minuscule et en contrebas, mais rehaussé par sa place d’honneur, il se présente en Créateur qui contrôle sa Créature, tel David vainqueur de Goliath.
Hercule Farnese, Goltzius, 1592, MET
Dans sa célèbre gravure, Goltzius montre l’effet inverse, en plaçant les deux touristes à droite, en position d’humilité, écrasés par la splendeur antique.
Gérôme exécutant les Gladiateurs
Aimé Morot, 1909, Musée d’Orsay
Pour le monument à Gérôme, son gendre Aimé Morot retiendra la même disposition flatteuse (on notera l’humour involontaire du titre).
Du pinceau au marteau
Passer de la Peinture à la Sculpture était, au XIXème siècle, exceptionnel, paradoxal, et quasiment contre-nature, ainsi que le note avec emphase Jules Clarétie :
« Oui, cette même main qui maniait le blaireau avec tant de finesse allait, par grandes masses, pétrir la glaise, et, à côté de ses travaux nombreux et des plus intéressants, tous soignés et achevés, dans cette facture lisse qui fait songer parfois à la peinture à porcelaine, mais magistrale et toujours souveraine, Gérôme devait offrir au public un groupe admirable, et ce combat de Gladiateurs, que M. Gérôme exposait comme sculpteur, emportait l’admiration avec sa facture puissante et mâle. » Jules Clarétie [5].
Dans une étude pénétrante, Matthias Krüger souligne le caractère radical de cette évolution, équivalente à une sorte de transition de sexe :
« Devant l’évidente autoréflexivité de la statue d’Omphale de Gérôme, on peut se demander si l’artiste faisait un parallèle entre le fait qu’il devienne sculpteur et qu’Omphale assume le rôle d’Hercule, entre le fait qu’il troque la brosse en blaireau contre le ciseau et qu’elle échange la quenouille contre le gourdin. Rappelons à ce point que Gérôme lui-même comparait le fini à « des travaux d’aiguille et broderie et travaux de dames ». Ainsi, les essais sculpturaux de Gérôme peuvent être interprétés comme une tentative de se dissocier de l’image d’un « blaireauteur ». « Matthias Krüger ([6], p 57)
Le sculpteur, entre Hercule et Omphale
Omphale
Gérôme, 1887, Musée Georges Garret, Vesoul
Au Salon de 1887, Gérôme a gagné son pari : reconnu comme un grand sculpteur, il transforme l’Hercule de Goltzius en cette femme puissante, paradigme de l’inversion des sexes (voir Pendants avec couple pour Rodolphe II) : en prenant possession de sa massue et de sa peau de lion, Omphale a transformé Hercule en esclave, juste bon à filer la laine.
Gérôme ne montre pas Hercule, mais l’évoque de deux manières :
- le petit Cupidon aux yeux bandés, rencogné sous la peau du lion : officiellement, l’Amour aveugle, officieusement Hercule nanifié et infantilisé, renvoyé sous la jupe de la Femme ;
- la balle qu’Omphale cache dans son dos : ce n’est pas la pomme de Vénus, mais bien sûr la pelote d’Hercule, résultat insignifiant de son nouveau travail.
La massue, instrument de frappe au repos, évoque la masse du sculpteur, une fois son oeuvre achevée. Tenue à équidistance par les deux protagonistes, elle ne nous dit pas à qui Gérôme s’identifie : à l’enfant aveuglé ou à la femme forte ?
Une série de photographies très étrange va nous permettre de trancher.
La série de Louis Bonnard
Le Peintre et Sculpteur Jean-Léon Gérôme dans son atelier avec son modèle Emma Dupont et la statue Omphale, Photographies de Louis Bonnard, 1887, collection privée
Parmi les cinq photographies prises par Bonnard, ces deux sont clairement une autocitation de « La fin de la pose ». Au delà de l’aspect promotionnel, leur confrontation quasi stéréoscopique produit un effet d’étrangeté, qui en dit long sur Gérôme et ses trucs.
Comme le remarque Stoichita ([7], p 167), le point de vue choisi transforme la modeste statue (1,32 m) en une superwoman, qui écrase par sa taille le couple des personnages vivants. Les oppositions entre eux (homme et femme, habillé et nu, assis et debout, âgé et jeune, artiste et modèle, créateur et créature) développent celles internes au groupe sculpté (femme adulte dominante et jeune garçon dominé).
D’une photographie à l’autre, le poêle se dévoile, le socle de la statue pivote et la modèle se retourne : seul Gérôme, ordonnateur de ces transformations, demeure imperturbable.
Tandis que tournent avec le socle les instruments du sculpteur, le véritable outil de Gérôme, reste immuable : c’est l’appareil photo, en hors champ.
D’une certaine manière, du point de vue du paragone, ce nouvel outil est une manière de clôturer le débat : composées comme des peintures, ces deux photographies sont une manière de prendre en sandwich la sculpture et de la réduire à un recto-verso.
En deux temps, Emma s’écarte de l’oeuvre, puis s’éclipse. Le rideau, disposé comme un dais, place la statue sous une gloire éternelle, tandis que la charnière du paravent désigne le prochain vivant à disparaître.
Dans la dernière photographie de la série, Gérôme s’éclipse à son tour, laissant à gauche derrière la table une trace fantomatique (Stochita pense qu’il s’agit d’un effet délibéré, exploitant la pose longue). Le dais de gloire a disparu et la charnière du parapet place sous la menace du Temps, désormais, le groupe sculpté.
Les vivants disparus se sont incarnés chacun dans son propre fantasme : l’artiste dans la Femme toute puissante, le modèle dans l’Enfant aux yeux bandés, qui ne parle ni ne voit.
Cette série de photographies très composée fait de cette oeuvre fétiche, que Gérôme ne vendra jamais. une sorte de testament artistique.
Plus il avance dans sa carrière, plus se libère sa dimension dalinienne : mercantile, innovateur, réactionnaire, et metteur en scène de fantasmes que ses contemporains percevaient parfaitement, même s’il était déplacé d’en parler.
Le sculpteur comme Pygmalion
Pygmalion et Galathée (vue de face)
Gérôme, 1892, collection privée
M. Thévoz [8] a souligné le caractère paradoxal du sujet :
« Cette image onirique doit être interprétée selon la logique du rêve, précisément, et selon le principe de la réversibilité. En effet, il suffit d’inverser la genèse de la sculpture et de sa miraculeuse animation pour rétablir la vérité latente que ce thème a pour fonction de dissimuler, ou plus précisément d’invertir : l’artiste est voué non pas à donner vie au marbre, mais à marmoréiser la vie, à désincarner la femme, à geler le désir, à fixer l’équation de la beauté et de la mort »
Plus précisément, Jean-François Corpataux [4] a montré comment un détail du décor, le bouclier de Méduse, joue un rôle-clé dans cette scénographie :
« Par une mise en scène soigneusement élaborée, Gérôme semble vouloir démontrer la nécessite d’une pétrification du modèle d’atelier avant de pouvoir aspirer à son animation. Cette scène où se rencontrent la pétrification et l’animation par la présence de deux mythes antithétiques (Pygmalion et Méduse) est symptomatique de la démarche de Gérôme. Le bouclier contenant la Gorgone est déposé à même le sol contre la paroi, répondant ainsi à la partie encore (ou déjà) inanimée de la statue, tandis que l’angelot animateur est placé dans la partie supérieure où se situe précisément la partie déjà (ou encore) vivante de la statue. La pétrification et l’animation – deux instants discordants- semblent avoir lieu en même temps et démontrent à quel point Gérôme joue avec les notions de temporalité et d’instantané au sein de ses images, en les poussant ici au-delà des limites convenues »
Sous l’oeil de Cupidon (SCOOP !)
Pygmalion et Galathée (vue de face)
Gérôme, 1892, collection privée (Ackerman N°386)
Pygmalion et Galathée (vue de dos)
Gérôme, 1890, MET, New York (Ackerman N°385)
D’un tableau l’autre, le groupe sculpté, l’escabeau, le socle tournant et le marchepied pivotent d’un demi-tour. Autrement dit, l’autre tableau nous montre ce que voit le spectateur du fond, le Cupidon en vol : sa flèche, emblème du pouvoir d’animation de l’Amour, est donc aussi celui du Regard, capable de donner vie pourvu qu’il soit jeté de plusieurs angles.
De la même manière que Gérôme restait le seul point fixe dans la série de photographies de Louis Bonnard, c’est ici son marteau, isolé au premier plan, qui échappe aux transformations.
Pygmalion et Galathée (de face), esquisse à l’huile
Gérôme, 1890, collection privée (Ackerman, N°388)
Mentionnons pour mémoire cette version avec Galathée vue de face, sans Cupidon. On sait que d’autres versions ont existé [9].
Pygmalion et Galathée,
Gérôme, Hearst Castle, San Simeon
Toutes ces variantes ont été facilitées par l’existence du modèle en plâtre (probablement antérieur aux peintures, selon l’usage de Gérôme) puis par la statue en marbre [10], mais les spécialistes ne s’accordent pas sur le chronologie précise de ces déclinaisons.
L’exploitation du paragone
La peinture donne vie à la sculpture (Sculpturae vitam insufflat pictura)
Jean-Léon Gérôme, 1893. Galerie d’art de Toronto
Le titre montre bien comment Gérôme, dans sa dernière période, exploite le thème du paragone comme marque de fabrique, tel Dali les montres molles. Tout comme Dali, il assume les critiques et les retourne en points d’honneur :
- mercantilisme (production en série, promotion pour sa statuette dansante) ;
- innovation esthétique (polychromie pour les statues) ;
- conservatisme (les femmes-peintres sont juste bonnes pour colorier) [11] ;
- dimension fantasmatique : après le Peintre, après le Sculpteur, Gérôme trouve enfin son incarnation idéale, en Femme qui peint des sculptures.
Sous la joueuse
Collection privée Musée des Beaux Arts, Caen
La joueuse de boules, 1902
Pour son avant-dernière sculpture, Gérôme, âgé de soixante dix huit ans, reprend le détail de la balle cachée dans le dos d’Omphale et l’impose comme sujet central : il s’agit maintenant d’un jeu supposément antique, consistant à viser avec des balles les bouches grandes ouvertes de masques posés sur le sol.
Satyre regardant sa propre queue, Galleria dei Candelabri, Museo Pio-Clementino, Vatican
Sous prétexte de pasticher une statue antique au titre symboliquement vertigineux, Gérôme invente une nouvelle femme forte, dont l’amusement consiste à piétiner et gaver des orifices masculins.
Du point de vue du paragone, cette statue toute en torsion constitue une sorte de pat, n’ayant à proprement parler ni recto ni verso.
Autoportrait avec La joueuse de boules, Gérôme, 1904, Musée Georges Garret, Vesoul
Dans son dernier autoportrait, resté inachevé, Gérôme se représente enfin en position d’humilité, à droite et en contrebas de son dernier et plus parfait fantasme : sous sa Géante recouverte de cire, imitant la chair à la perfection, il se livre à l’activité féminine de colorier le troisième masque, celui dont la joueuse, sans même regarder derrière elle, va clouer définitivement le bec.
A l’extrême fin de son existence et au tout début du nouveau siècle, il semble que Gérôme anticipe brillamment les fantasmes du recto-verso qui suivront :
Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté,
Dali, 1954, Collection privée
Poupée, Bellmer, 1936, MET
(Sur le tableau de Dali, voir Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste))
Susan Waller, “Fin de partie: A Group of Self-Portraits by Jean-Léon Gérôme,” Nineteenth-Century Art Worldwide 9, no. 1 (Spring 2010), http://www.19thc-artworldwide.org/spring10/group-of-self-portraits-by-gerome