Tancrède Ramonet, 2016-2023 (France)
On voudrait entendre ce qu'a été l'anarchisme avant 1840 et l'essai de Proudhon pris comme point de départ à cette histoire ( Qu'est-ce que la propriété ?). À l'autre bout de la période, on voudrait également poursuivre après 2012 et entendre la manière dont l'anarchisme innerve les luttes actuelles des mouvements sociaux et écologistes. On aurait encore souhaité des développements plus conséquents sur, au hasard, les propositions concrètes des théoriciens quant à l'organisation d'une société anarchiste, des détails sur la révolution libertaire de l'Espagne des années 1930 (les aspirations du CNT sont données mais les expériences collectivistes peu évoquées) ou encore sur l'Internationale situationniste tout juste mentionnée. De même, les théories revigorantes de Murray Bookchin méritaient certainement mieux qu'un assez court bonus.
Pensons encore au contexte décrit après la destruction de la Commune de Paris qui voit s'enchaîner à travers le monde une impressionnante série d'assassinats de princes et de gouvernants : le tsar Alexandre II de Russie, surnommé le " Libérateur " tué par un libertaire en 1881, Sadi Carnot en 1887, l'impératrice Sissi en 1898, le roi italien Umberto Ier en 1900...
Le réalisateur et les intervenants sont pour la plupart libertaires ou proches de l'anarchisme (présent au générique du documentaire, entendre et réentendre le titre Black Bloc d'Achab, le groupe de Tancrède Ramonet ; ajoutons pour l'anecdote que son portrait est discrètement inséré dans la mosaïque de visages qui ouvre chaque partie du film). Mais il n'y a pas ici à faire de reproche véritable sur la partialité de l'exposé, tant le travail, produit par Temps Noir et Arte, est documenté et commenté par de nombreux universitaires et scientifiques. Il y a probablement des nuances à apporter quand le documentaire donne au détour d'une affirmation l'impression que tous les communards ont été anarchistes. Mais les impasses de l'anarchisme sont aussi reconnues, comme avec les " bandits tragiques ", ses divisions relevées ainsi que ses contradictions. Ni Dieu, ni maître : une histoire de l'anarchisme rend compte de la violence systématique avec laquelle, à toute époque, les États réagissent contre celles et ceux qui dénoncent ses dysfonctionnements et ses injustices. Mais on se rend également compte de la survivance et des renaissances successives du mouvement. Nulle part et partout pour reprendre les mots du film.
Volume 1 (sorti en 2016) : la volupté de la destruction (1840-1914)
Volume 2 (sorti en 2016) : la mémoire des vaincus (1911-1945)
Volume 3 (sorti en 2023) : Des Fleurs et des pavés (1945-1969)
Volume 4 (sorti en 2023) : Les Réseaux de la colère (1965-2012)_