Promenons nus dans les bois !
La « randonue », ou promenade dans le plus simple appareil, a le vent en poupe, notamment grâce à Internet. En toute saison !
Ils se baladent le plus naturellement du monde. Nus comme des vers. Sans le moindre complexe. Un sourire enfantin aux lèvres. Les plus mordus évoluent même sans baskets ni bottines, la plante des pieds en communion directe avec la mère terre. Les flâneurs et les vététistes qui les croisent, ahuris, au détour d'un chemin de la forêt de Soignes, frisent le torticolis ou la chute de vélo. Les « randonueurs » ne se cachent pas pour autant. Ils continuent leur excursion insolite, le cui-cui ou les doudounes à l'air, les fesses ballottant au rythme des pas.
« S'il y a des enfants en vue, je m'entoure d'un paréo, par respect pour eux, nuance Jérôme Jolibois, 42 ans, employé de banque et adepte féru de la "randonue''. Sinon, la plupart des gens que je rencontre se marrent. C'est la réaction la plus classique. Souvent, je demande aux "textiles'' ( NDLR : les personnes habillées, dans le jargon des nudistes) si cela ne les dérange pas. Les réponses ne sont jamais agressives. Au contraire. L'autre jour, une dame d'une bonne soixantaine d'années nous a accompagnés un bout de chemin, en faisant gentiment la conversation. »
Le but de ces promeneurs à poil n'est pas de provoquer. « Nous recherchons plutôt l'isolement, témoigne Alain-Michel Pastiels qui aime vagabonder dans la nature en tenue d'Adam, depuis plus de trente ans. Le plus souvent, je fais de la randonue à la tombée de la nuit, quand la forêt est déserte. » Paradoxalement, un nudiste seul s'attirera davantage de regards suspicieux que s'il se baladait en groupe.
En Belgique, cette passion est évidemment tributaire des caprices du ciel, même si, avec l'expérience, les randonueurs s'habituent à tous les climats. « Je suis beaucoup moins frileux que la moyenne, assure Alain-Michel en montrant des photos d'une randonue organisée à la Toussaint, dans la forêt des Culs Frais (sic), près de Fontainebleau, en France. Le corps d'un nudiste a un pouvoir d'adaptation thermique plus développé. »
Si le phénomène se développe beaucoup en France, où la tradition naturiste est bien ancrée, la randonue a ses adeptes en Belgique. Ils ne sont guère nombreux. Sans doute quelques dizaines, selon le fichier des membres d'Alain-Michel. Ils organisent leurs activités via des forums sur Internet (le plus connu se trouve sur Yahoo !) et communiquent les informations pratiques, notamment le lieu de la promenade (la forêt de Soignes est la plus prisée), par des e-mails privés, pour se prémunir des voyeurs.
L'idée de la randonue vient de la lassitude des naturistes de se voir cantonner dans des espaces fermés. Les tout-nus investissent désormais les lieux publics. La « Cyclonudista », organisée chaque année à Bruxelles depuis trois ans, en est la manifestation la plus spectaculaire. Mais certains nudistes n'hésitent pas à vivre leur passion dans la cité en dehors de ce cortège de cyclistes dépouillés. « Oui, je roule, dévêtu, à vélo dans Bruxelles et je bronze nu au Parc royal, avoue Jérôme Jolibois. Certains badauds me prennent en photo. Et si je rencontre des policiers ? Au pire, ils demandent de me rhabiller. Je n'ai jamais eu d'amende. »
La loi belge est floue face à la nudité en public. Celle-ci n'est punissable que s'il y a outrage aux bonnes mœurs, lesquelles, tout comme l'attentat à la pudeur, ne sont pas définies par la loi. Dans d'autres pays, la législation est nettement permissive : en Espagne, où les associations naturistes sont très militantes, la nudité a été dépénalisée voici vingt ans, et la Catalogne a même adopté, en 1997, une résolution reconnaissant le droit d'être nu. Une nécessité aux yeux des naturistes de France et de Belgique qui, en 2007, se sont regroupés au sein de l'Apnel (Association pour la promotion du naturisme en liberté) afin de revendiquer les mêmes droits. l
Thierry Denoël
levif.be