Privée de toute connexion internet pendant un temps qui s’annonce long, je stocke les notes dans les tréfonds du disque dur et vous les envoie au hasard de mes nomadisations wi-fi.
Mardi 19 août
Poubelles napolitaines
Attention, film violent ! Que des types qui prennent soin de leur corps se fassent descendre dans la lumière bleue des cabines d’UV n’est finalement pas ce qu’il y a de plus brutal dans ce film. Certes, la scène donne le ton, mais n’importe quel film de gangster pourrait commencer de la même façon, sans que pour autant on ressente un réel malaise.
Le malaise vient justement du fait que nous ne sommes pas dans un film de gangster, mais dans la vraie vie de Naples, sous la coupe de la camora, organisation criminelle réinvestissant ses bénéfices bien mal acquis dans des affaires honnêtes (participation à la reconstruction des tours de New-York, entre autres), surfant comme n’importe quelle grosse entreprise sur les vagues sordides d’une mondialisation sans règle.
La camora : activités variées, menées avec minutie, cynisme et .38 pour faire taire les gêneurs, même quand ces derniers sont des mouflets à peine sortis de l’adolescence. Ce film de Matteo Garrone est ainsi d’abord un catalogue d’activités lucratives diverses : contrefaçon de haute-couture, gestion basique des déchets toxiques (et, comme on peut le lire dans Télérama, on s’étonne après que la mozzarella ait un goût de dioxine !), trafics plus attendus de la mafia (c’est ainsi qu’on mixe au blender la cocaïne bien fraîche, en famille). A côté de ces activités se trouve toute une organisation fort classique dans la forme : recrutement de main d’œuvre par appel d’offre, par exemple. Mais régulièrement le fond vicieux l’emporte sur les apparences : lorsque des noirs payés au black ne peuvent pas conduire des camions, on embauche sur le champ des mouflets qui, dès le CP, baignent dans cette ambiance criminelle. Mais le boss a bon cœur, il leur file des coussins pour que leurs minois dépassent le volant ! On est mafioso de père en fils, souvent plus de force que de gré, tant l’organisation tisse sa toile telle une secte sur toute la vie sociale et économique.
De taudis que l’on qualifierait de surréalistes s’ils n’avaient pas été réellement filmés dans la banlieue de Naples, en carrières transformées en déchetteries sauvages, même le paysage devient laid sous nos yeux.
Il y a les personnages enfin, dont les histoires se superposent plus qu’elles s’entremêlent (c’est d’ailleurs une des rares faiblesses du film) : Pasquale le couturier aux doigts d’or (seul personnage un peu sympathique, avec les mômes), l’oncle (qu’on voit peu mais dont on parle beaucoup) que dans un autre film on aurait appelé “parrain”, Toto le minot qui hésite entre l’allégeance au gang et l’obéissance à sa mère, et aussi nos deux ados cités plus haut. Si le scénario avait exclusivement tourné autour de ces deux loustics, véritables pieds nickelés dont l’un a la voix sciemment cassée des durs comme au cinéma, le film aurait viré à la comédie. Loulous minuscules face à la camora à laquelle ils tiennent tête dans un grand n’importe quoi de bazar, ce sont eux qui illustrent l’affiche du film. Faux caïds qui appellent maman dès que le vent tourne, ils apportent paradoxalement un peu de légèreté dans toute cette galère.