En cinq actes, Kery James démontre la réalité des violences policières dans la société française, une société qui s’est construite sur le sang, sur l’oppression exercée par les riches sur les classes populaires. Puisqu’il y a des « quartiers populaires », dit Souleymaan, le personnage qu’il incarne, cela signifie qu’il y a des quartiers non populaires, et il préfèrerait qu’on parle de « quartiers prolétaires ». Cette pièce est une rencontre entre un avocat, Souleymaan Traoré, et un juge, Nicolas Rittner, ce juge ayant fait libérer le policier qui a tué d’une balle dans le dos le frère de l’avocat. Le mot « bavure » n’est jamais prononcé, sans doute parce que « quand ça n’arrive qu’une fois, c’est un drame » et « quand l’histoire se répète, c’est une politique ». L’avocat est armé et promet de prendre « une vie contre une vie ». Très vite, la confrontation de deux personnes prend un tour beaucoup plus général et politique. Les arguments s’appuient, de part et d’autre, sur des faits connus de ces dernières années, dates et lieux à l’appui, les uns dénonçant ces violences (il n’y a pas d’autre mot, quoi qu’en disent ceux qui nous gouvernent), les autres cherchant des excuses. Ce ne serait sans doute que caricatural s’il n’y avait, outre ces échanges tendus, la mise place d’une relation entre deux hommes, même si l’acte 4 (« De l’amour ») me paraît un peu artificiel et si certains propos mis dans la bouche du juge relèvent parfois de la « pensée positive » sans réelle profondeur. Et la fin renvoie chaque personne assistant à cette pièce à son interprétation.
Le dispositif scénique figure le huis clos dans un cercle équipé d’un rail sur lequel se déplacent deux caméras permettant de projeter sur un écran suspendu en avant-scène des plans rapprochés. Le mouvement des caméras et les images qu’elles renvoient ont une influence sur la perception des spectateur-rices, tantôt regardant les acteurs sur la scène et tantôt regardant les images : ce n’est pas le même regard ni la même implication. Le son étant repris par des micros — ce qui est appréciable pour un confort d’écoute —, nous avons un rapport distancié avec ce qui se dit, « trop petits pour changer le monde ».
La salle était comble et le public debout pour applaudir, sans doute parce que nous nous sommes reconnus dans ce qui se jouait devant nous, même si « demain n’est qu’une hypothèse ».
Un spectacle de : Kery James ; Mise en scène et scénographie : Marc Lainé ; Dramaturgie : Agathe Peyrard
Avec : Kery James, Jérôme Kircher
J’ai vu ce spectacle au !POC! d’Alfortville (94)