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partout la même douleur de vivre. (Michel Del Castillo)

Par Jmlire

partout la même douleur de vivre. (Michel Del Castillo)

" Aux premières bornes que l'homme rencontre, le monde n'est que désordre et que sourde pénombre."

La voix de Tchardine n'était plus ce chant de violoncelle qui avait enchanté Clara à Berlin. La vieillesse y avait mis des aigus stridents, un vacillement secret.

Ali se redressa, le fixa.

- Non, ce n'est pas de moi, fit Tchardine avec un sourire d'amertume.

C'est de Lorca, une tante de mon espèce.

- Je n'aime pas quand tu parles comme ça.

- C'est comme ça que les autres parlent de moi. C'est ce qu'ils disent dès que j'ai le dos tourné. Ils croient m'excuser en m'imaginant gâteux... C'est aussi comme ça que tu parlais.

- Je n'ai jamais dit ça, sauf à quatorze ou quinze ans... Et puis, tu n'es pas les autres.

- Tu te trompes, je suis tous les autres, ce qui explique qu'ils se reconnaissent en moi. Je suis les autres tels qu'ils s'ignorent. Toutes poésie révèle.

Fut-ce le lendemain ou le surlendemain ? Ils avaient dîné chez Lasserre avec une amie comédienne.

Tchardine se cala au fond de la voiture, fit asseoir Ali à ses côtés, lui recommanda de bien voir, sans détourner le regard.

- La plupart des gens, fit le poète distraitement, ne voient que ce qu'ils désirent voir. Ils badigeonnent la réalité avec des lieux communs. Essaie de regarder contre tes rêves. Tu sauras ce qui d'eux résiste.

C'était l'automne, tiède et humide. Les rues de Paris avaient cette brillance des rues de Carné.

Et le jeune homme découvrit des cités aussi abandonnées, aussi lugubres, aussi mornes que celle où il avait vu le jour. Derrière chaque fenêtre, il pouvait imaginer un adolescent pareil à celui qu'il fut, couché sur le dos, fixant le plafond d'un œil vide tout en écoutant des paroles étrangères, balbutiements tombés d'une planète rêvée.

La promenade dura plusieurs heures. Autour de la ville, luxueuse et fardée, il aperçut des nécropoles géantes, plantées des mêmes peupliers risibles.

Quand ils retrouvèrent leur hôtel, Ali se laissa choir sur le lit.

Comme des rescapés d'un naufrage de sang."

" Dans les faubourgs on voit tituber des hommes insomnieux,

- Lorca, toujours, lâcha Tchardine avec mélancolie

Tu viens de découvrir de quoi l'Occident retire sa tristesse. Nulle part l'homme ne chante plus les matins.

- Je ne suis pas triste. Et puis tu m'emmerdes avec tes discours à la noix !

Mais ces scènes, ces dialogues que je reconstitue à partir de confidences et de témoignages de seconde main, rien ne prouve qu'ils aient eu lieu. On peut donc imaginer que, de retour de leur promenade nocturne, Ali garda un silence buté. ou que, le visage tourné vers le mur, il feignit de dormir.

Une chose est sûre : après le premier éblouissement, Ali connut une période de doute et de désolation. Une expression de désenchantement s'imprima sur son visage.

L'Occident ne le déçut pas vraiment, mais il ne sut pas davantage répondre à son attente infinie. Au fond, on retrouvait partout la même douleur de vivre.

Le vieux poète aurait-il raison ? L'existence ne serait-elle qu'une douleur lancinante dont seule l'illusion de l'amour consolerait ?

Majuscules risibles de nos peurs affolées. Trouver dans le silence du geste, Derme à derme, bouche à bouche. Le fier discours Aux déclamations hostile. Michel Del Castillo, extrait de : "Mort d'un poète" Éditions Mercure de France, 1989. Du même auteur, dans Le Lecturamak :

Mots creux de nos sanglots gonflés


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