Un mot anglais, generator, avait habité mon enfance, résonnant de loin en loin, un mot qui, pour des raisons indémêlables, me fascinait, semblant dire tout à la fois l'engendrement, la naissance et l'étincelle. Generator, c'était le père.
Rinny Gremaud est née en 1977 en Corée du Sud. Sa mère et elle y ont été abandonnées par son père biologique, un Britannique.
Dans ce récit, elle reconstitue la vie de ce père. Quand elle ne sait pas, elle invente, faute qu'il lui ait parlé. Aussi ce récit est-il réel et fictif.
Il ne semble pas comme elle le dit à un moment qu'elle ait tout inventé, mais suffisamment pour préserver sa mère et son père adoptif.
L'auteure sait que son père était ingénieur-mécanicien, qu'il travaillait dans le nucléaire quand il a connu sa mère, à la centrale de Kori.
En faisant des recherches sur lui, elle apprend qu'il est né au Pays de Galles et qu'il avait vraisemblablement été marin, ou plutôt:
Mécanicien de marine, s'il faut être précis.
Elle apprend que son père à lui est mort en 1941, alors qu'il avait 6 ans. Dix ans plus tard, il entre au chantier naval, une chance pour lui.
En 1965, sa vie change. Ingénieur spécialisé en thermodynamique, il est embauché sur le chantier atomique de Wylfa, sur l'île d'Anglesey.
En 1971, il part pour Taïwan où se construit une nouvelle centrale nucléaire, à Linkou, qui va contribuer à son développement économique.
Auréolé du prestige des Blancs, il y met très vite une femme enceinte. Sa première fille est en effet née en 1972 - il y en aura trois autres avec elle:
Cela me fâche, pour ne pas dire autre chose, de comprendre que probablement, tu as reproduit plus tard avec ma mère ce que tu avais déjà vécu une première fois à Taïwan.
L'auteure n'est pas seulement fâchée contre son père biologique; elle l'est contre le nucléaire en particulier et contre le capitalisme en général.
Car son récit est un réquisitoire contre cette énergie, dont elle ne retient que les défauts et échecs dans la mise en oeuvre, et contre les États-Unis:
Je le dis sans ambages: je déteste les États-Unis d'Amérique. Mes tripes davantage que mon cerveau sont à la manoeuvre dans ce sentiment diffus, arbitraire...
Sans doute son ressentiment à l'égard de ce père y est-il pour quelque chose, puisqu'en 1978, il y travaille sur le chantier nucléaire de Monroe:
Tu t'apprêtes à passer le restant de tes jours à vivre le rêve américain dans une zone pavillonnaire sans intérêt...
Le lecteur? Il est partagé entre compassion pour l'auteure, séduction pour son style enlevé, rejet de ses partis pris tendance, en apparence documentés.
Francis Richard
Generator, Rinny Gremaud, 240 pages, Sabine Wespieser Éditeur