La semaine dernière avait lieu le « Scary Fast », un événement Apple comme on en connaît maintenant régulièrement, durant lequel la marque à la pomme a annoncé ses nouveaux Macbooks, équipés à présent de puces M3. Rien de bien surprenant, a priori. Sauf que l’événement se terminait sur une touche inhabituelle, puisqu’il était précisé que l’ensemble de la présentation avait été filmée à l’iPhone. Loin d’être un simple clin d’œil, cette mention permettait à Apple de rappeler qu’outre des ordinateurs incroyablement performants, elle produisait aussi des smartphones capables de filmer à un niveau professionnel. Mais est-ce vraiment le cas ?
Comme après chaque annonce de ce type, les vidéos présentant les produits vantés lors de l’événement ont ensuite été mises en ligne sur le web. Parmi elles se trouvait un court making of de la réalisation de cette conférence, un making of qui a engendré une mini polémique sur les réseaux sociaux puisque montrant qu’outre des iPhones, Apple avait utilisé une grande quantité de matériel professionnel pour mettre en image sa grande messe, allant de la dolly aux rails de travelling, de l’éclairage aux drones et autres stabilisateurs.
Filmer à l’iPhone n’est pas nouveau. Apple en a fait depuis longtemps un argument marketing, allant jusqu’à réaliser des courts-métrages particulièrement élaborés à chaque nouvelle itération de son téléphone intelligent. Des cinéastes de renom se sont emparés de l’objet pour réaliser du court au long métrage, Steven Soderbergh étant sans doute celui auquel on pense en premier. En télévision, où les réductions de coût ont peu à peu supprimé les postes de caméraman ou de preneur de son, le journaliste se doit d’être capable de réaliser un reportage dans son intégralité avec un iPhone (on appelle ça le MoJo, pour Mobile et Journalist).
Pour toutes ces pratiques, l’iPhone a toujours reçu l’aide d’accessoires en tous genres, permettant d’obtenir le meilleur résultat selon la diffusion qui était prévue. Apple ne s’en est jamais caché et a toujours produit des making of pour montrer l’envers du décor. Qu’il en soit pour ses publicités précédentes ou pour la captation de l’événement d’octobre, personne ne pouvait croire que Robert le stagiaire était tout seul avec son iPhone à la main pour assurer le boulot. C’est comme de croire que le même événement aurait pu être réalisé avec une caméra RED de plusieurs dizaines milliers d’euros sans éclairage ni grue : ça n’a pas de sens.
Sans surprise, donc, le résultat est là. La présentation est impeccable et la qualité est exceptionnelle, au point que personne n’aurait remarqué la différence si Apple n’avait pas pris le soin de préciser qu’elle avait été réalisée avec des iPhones.
Et si on filmait avec un iPhone ?
Alors, où est le problème ?
Le problème, c’est que je vois déjà un prochain client me demander de capter une conférence – ou tout autre événement – avec un iPhone. Mais si, ça va coûter moins cher et on a déjà tous un smartphone dans notre poche ! Pitié, si c’est ce que vous pensez, je vous invite à retourner voir la vidéo ci-dessus.
Il y a une douzaine d’années, je me moquais gentiment d’un caméraman venu effectuer une captation avec un DLSR. Je sortais à l’époque d’un documentaire entièrement filmé avec ce type d’appareil et j’avais passé des jours et des jours juste pour resynchroniser les centaines de clips qui avaient été filmés. Une opération dont j’aurais pu facilement m’affranchir si une caméra traditionnelle avait été utilisée. C’est peut-être ce qui justifiait mon avis assez tranché sur le fait de ne pas utiliser un DSLR pour filmer.
Aujourd’hui, le marché a évolué, la technologie aussi, et c’est ce type d’appareil que j’utilise principalement pour mes tournages – sauf pour les captations d’événements, ou une caméra reste toujours plus pratique. De même, je recommande régulièrement de filmer avec son smartphone si c’est l’appareil avec lequel on est le plus à l’aise. D’autant plus pour produire des contenus pour Instagram et surtout TikTok, où il s’agit de l’outil de prédilection.
Mais malgré la qualité impressionnante des vidéos produites par le dernier iPhone 15 Pro Max, je ne vois pas qui pourrait préférer filmer un événement uniquement avec cet appareil plutôt qu’avec des caméras traditionnelles, si ce n’est pour le coup de pub. Il faudrait prévoir tout le matériel adapté pour les accompagner, une équipe connaissant parfaitement l’usage qu’il est possible d’en faire et un workflow pensé en conséquence.
Et pourtant, je sens venir ceux qui vont se dire que, puisque Apple l’a fait, ça doit être possible. Sans prendre la mesure de ce que ça implique. C’est aux vidéastes qu’il incombera alors de les ramener à la réalité, de leur expliquer que c’est un plus compliqué que d’avoir deux personnes avec deux iPhones à la main et que non, ça ne va pas forcément diminuer le budget captation. Simplement parce qu’ils n’auront pas regardé (ou compris) le making of d’Apple. Il faut dire que des petites phrases comme « what’s incredible is, like, how not different it’s been on set » n’invite pas à la nuance.
Non, l’iPhone n’est pas l’outil le plus adapté pour ce type d’exercice. C’est possible, en y consacrant les moyens adéquats, mais c’est loin d’être la panacée.
Quand j’ai essayé de mettre en garde sur le message que risquait de faire passer Apple avec ce type de marketing, certains m’ont reproché de critiquer pour le plaisir, voire d’être un hater. Pour être honnête, je ne suis pas le plus grand fan d’Apple. J’ai de nombreux griefs à leur encontre, notamment d’avoir remplacé Final Cut Pro 7 (mon logiciel de montage de prédilection) par Final Cut Pro X, ou l’évolution peu glorieuse du Mac Pro. Comme beaucoup de professionnels, j’ai pris ces « révolutions » comme des marques de dédain de la part d’Apple, au point de me poser la question d’un passage à un PC sous Windows. Les choses s’améliorant ces dernières années, je n’ai finalement pas quitté le navire. Être un utilisateur fidèle de la marque n’empêche pas d’être critique.
Est-ce que, d’ici une dizaine d’années, je conseillerai l’iPhone pour faire des captations vidéo ? Peut-être. Qui sait, ce sera peut-être mon outil de travail principal — c’est déjà le cas pour certains de mes collègues. En attendant, je reste convaincu qu’il est nécessaire de d’abord réfléchir au meilleur outil en fonction du type de réalisation, et pas de forcer à tout prix l’usage d’un appareil pour des raisons de coût ou de marketing. Sauf, bien sûr, si vous vous appelez Apple et que c’est votre gagne-pain.
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