L’un des plus beaux plans du film Gomorra de Matteo Garrone.
Le jour de la remise des prix du Festival de Cannes, j’étais coincée dans une saloperie d’embouteillage sur l’A6, pendant que des Scarlett Johansson et des Eva Green se pavanaient en robe Prout-Prout sur le tapis rouge. J’écoutais Le masque et la plume. J’entendis soudain le titre du Grand Prix du Jury : Gomorra, film italien de Matteo Garrone. Un film qui raconte les atrocités de la Camorra, un type de mafia né au XIXe siècle à Naples, en Italie, et qui s’est ensuite diffusé dans toute la région. “Elle compte 7 500 initiés, les camorristes, regroupés dans 120 à 130 familles. Des membres féminins commencent à y jouer un rôle de plus en plus important du fait des nombreux arrestations et assassinats. Elle est très intégrée dans la population, surtout dans les milieux les plus pauvres.” (Wikipedia)
Le film, à la réalisation directe et brute, très proche du documentaire, est séduisant dès les premières images. La caméra bouge un peu, la mise au point est imparfaite (un personnage au second plan est flou alors qu’il parle), la musique est très peu présente et Garrone n’hésite pas à filmer à contre-jour (un peu trop souvent à mon goût). On est tout de suite au cœur de cette Italie pauvre et brutale dans laquelle le réalisateur souhaite nous embarquer. Là où ça pèche, c’est plutôt au niveau du scénario. Garrone a voulu exprimer l’aspect tentaculaire de la Camorra en racontant plusieurs histoires à la fois : celle d’un mafieux friqué qui se livre au trafic d’ordures, polluant toute la région avec des montagnes de déchets toxiques ; celle de deux voyous qui ne veulent se mettre au service de personne et faire “leur” loi, mais se retrouvent face à plus fort qu’eux ; celle du caissier de la Camorra, qui distribue les salaires et les pensions de misère à ceux qui ont servi fidèlement ; etc. Et voilà le pauvre spectateur perdu entre tous ces personnages, dont deux, en plus, se ressemblent physiquement, au point de ne plus savoir qui est qui. C’est dommage : Garrone, en se recentrant sur deux histoires peut-être, aurait tiré meilleur profit de son film courageux contre la Camorra.
Car c’est là que je veux en venir. Voilà un jeune cinéaste de quarante ans qui, en plus d’être beau gosse à l’italienne, engage littéralement sa vie pour dénoncer les agissements d’une des pires organisations criminelles au monde. Garrone ne ménage personne, ni les petites frappes, ni les puissants industriels qui fricotent avec la politique. Loin, très loin, de l’image léchée, sexy-glamour et vaguement élégiaque du Parrain. Garrone n’est pas fasciné par ses personnages : il les vomit. Ces mecs sont des ordures, plus toxiques encore pour leur pays, leur peuple et leur environnement que les déchets qu’ils enfouissent par tonnes dans les sols italiens. Et si Garrone dresse un tableau désespéré de la situation actuelle, il a tout de même choisi un personnage pour porter son espoir : un jeune type pauvre engagé par un riche mafieux, qui finit par décider de claquer la porte, la tête haute, sans crainte de représailles. C’est d’ailleurs en créant un gouffre béant entre des personnages de jeunes garçons tentés par la mafia, et le monde ignoble de la Camorra, que Garrone entraîne son spectateur dans l’indignation et la révolte.
Ce genre de cinéma est nécessaire, indispensable, courageux. Voilà un artiste pour qui créer n’est pas un vain mot, ni une pose à la con. Mais une urgence.
Je vous recommande l’interview excellente que Matteo Garrone a donné au Nouvel Obs, ici.