Le destin veille au grain. Agnès Ledig faisait une allusion élogieuse à ce livre dans Sous l’écorce alors qu’il était depuis un moment dans ma PAL Je reconnais que sa remarque accéléra son ascension. Il est monté en haut de la pile.
Elle n’avait pas précisé quel passage précis l’avait émue aux larmes. Était-ce celui-ci que je trouve bouleversant
: Ces quatre là passaient leur vie à se regarder pour ne pas tomber, comme on se retourne pour s’assurer que papa n’a pas lâché le vélo sans rien nous dire, après avoir enlevé les petites roues et juré qu’il nous tenait (p. 159).Les quatre en question sont des orphelins bouclés dans un établissement religieux lugubre où les adultes sont maltraitants. Leur seule fenêtre ouverte sur l'extérieur est a voix de Marie-Ange qui animait Carrefour de nuit, sur Sud radio, unique station que le poste bricolé par l'un d'eux pouvait capte clandestinement. Combien d'entre nous ont "tenu" grâce aux émissions de nuit ? Il n’y a rien d’autobiographique là-dedans mais ce n’est pas une consolation car l’histoire est bel et bien malgré tout réelle. C’est celle de Gérard, un lecteur rencontré dans un salon et à qui le livre est dédié à la toute fin, alors que la page traditionnellement dévolue à une dédicace comporte quelques lignes d'une partition musicale.Peut-on se remettre des traumatismes de l’enfance ? Une passion artistique est-elle salvatrice ou enfermante ? A quoi peut-on croire quand on vit l’enfer sur terre ?Jean-Baptiste Andrea fouille ces questionnements en créant une fiction à partir des bribes que son témoin lui a confié. Le roman est haletant, ponctué de scènes très fortes et faisant parfois craindre le pire. Dans la mesure où le passé nous est conté en flash-backs on peut penser que tout ne s'est pas mal terminé. L'allusion au tableau de Van Gogh accroché au-dessus de l'instrument de son si sévère professeur de piano serait-il de bonne augure ? Du bleu, du jaune, du vert. La nuit étoilée de Van Gogh(p.124).Pourtant, savoir que Joe joue désormais dans les halls de gare, sur des pianos publics, en attendant quelqu'un qui ne descend pas encore aujourd'hui du dernier train, diffuse une forte mélancolie qui, malgré une très belle écriture, rend la lecture plutôt amère. Comme le fut sans nul doute la vie du confident de l'auteur.Le passage concernant l’art de lamuleta(p. 278) est de toute beauté même si on exècre la tauromachie. Son rêve d’enfant n’était pas de devenir toréador mais poète et il glisse quelques vers à l'intérieur du roman : Ils étaient durs, ils étaient drôles, ils étaient sans victoires.Mes amis.Les soirs de tristesse, les soirs de vin aigre, je pense encore à eux (p. 95).C'est sous la cape du poète qu'il s'adresse à nous avec un lyrisme contenu, comme par exemple lorsqu'il nous apprend que les enfants ont inventé un jeu pour le plaisir, un concours de tristesse(p. 159). Et bien entendu c’est le plus malheureux qui gagne. Quand ils signent un pacte, leur serment (p. 338), c’estchacun pour soi. Nous verrons bien s'ils le tiendront jusqu'au bout.J'ai appris en le lisant que le titre de la Sonate au clair de lune de Beethoven ne portait pas un titre original. Clair de lune est un surnom ajouté à la pièce ultérieurement trente ans plus tard par un crétin(…)Beethoven avait déjà perdu une bonne partie de son ouïe. L’adagio de la N°14 n’est pas une promenande au clair de lune. C’est une marche funèbre. Une déploration. Ce qu’on entend, c’est un génie qui devient sourd(p. 98).Peut-être parce que Jean-Baptiste Andrea a raison à propos de Dieu, qui à l’instar du musicien, serait sourd comme un pot (p. 104). Et j'ajouterai qu'il est également aveugle.Des diables et des saintsde Jean-Baptiste Andrea, L’Iconoclaste, en librairie le 14 janvier 2021Grand Prix RTL Lire et Prix Étonnants Voyageurs