Chut ! Ecoutez… Vous entendez ? Les valses de Chopin, l’opus 64 n°2, ma préférée je crois. Elle vient d’en bas, juste sous mes fenêtres, le magasin de musique. La plus géniale des boutiques de la ville, un remède à l’ennui et à la morosité, une source inépuisable d’émotions, sourires et larmes.
La devanture est couleur bleue nuit. Son nom s’étale en capitales blanches, longues et fines, il est d’ailleurs très beau son nom, il annonce la couleur du monde, et son harmonie. Il évoque cette utopie que seule la musique peut cultiver.
A l’entrée, le classique. Les opéras. J’ai trouvé de véritables merveilles à cet endroit-là, de la musique florentine du 17°, austère mais virtuose, un stabat mater à vous faire croire en Dieu, enfin, en la Sainte Mère, les valses et les préludes de Chopin par Alexandre Tharaud, pianiste génialissime qui rend parfaitement grâce au compositeur, et d’autres encore…
Au fond, le jazz. J’y ai déniché un formidable live de Coltrane avec le Thelonious Monk Quartet, découvert Bugge Wesseltoft et le magique Eric Watson, dont je suis littéralement tombée amoureuse…
Sur le mur de gauche, après la caisse (un meuble de bois, une boîte en fer pour la monnaie, un terminal carte bancaires et, le plus important, une platine CD pour écoute et diffusion), les coffrets. De très bonnes idées cadeaux, enfin, moi j’dis ça…
Sur le mur de droite, les musiques dites du monde. Celles qui ont voyagé et qui nous le racontent. De Benny Moré à Ali Farka Touré, en passant par Madredeus et Lévon Minassian, tous les pays de la planète je crois, tous ses langages, toutes ses expressions, de la plus gaie à la plus intime, de la plus engagée à la plus légère. Découvrir en mélodies, un voyage sans fin, les hommes frères et égaux, dans la musique au moins. Le monde et son harmonie, une utopie…?
Une très belle boutique, donc. Avec de vrais trésors. Mais le plus beau d’entre tous n’est pas sur les étagères, il est derrière la caisse. Dans les rayons étroits, à l’entrée souvent, à saluer les passants, il nous connait tous. Le plus beau de cette boutique, c’est son vendeur. Un petit monsieur aux cheveux gris, un sourire de vrai gentil, il rentre sa tête dans ses épaules quand il dit bonjour et au-revoir. D’ailleurs, il ne dit pas au-revoir mais à tout bientôt ! J’aime bien.
N’hésitez surtout pas à lui demander conseil, il est parfait dans son rôle. Non seulement il connaît chacun de ses CDs, mais en plus il les aime, tous. Un véritable amoureux de la musique, quand il en parle elle se met à vivre. Il vous raconte son histoire, ses acteurs et son temps, son pourquoi du comment et finit souvent par un magnifique, ou superbe. Très beau. C’est un passionné, un vrai. Musicien, bien sûr. Professeur de piano au conservatoire avant d’ouvrir sa boutique, il dirige maintenant. Son orchestre se produira bientôt dans une petit église de la région, je vais essayer d’y aller, j’en ai très envie.
L’autre jour, j’étais un peu triste. Non, pas triste, mais d’humeur contemplative. J’avais envie de musiques douces et belles, de légères caresses pour mon esprit agité. Alors je lui ai demandé. De la musique douce, s’il vous plait. Il m’a proposé le deuxième opus de l’ensemble des aromates, mais je préférais une découverte. Il m’a donc présenté Mariana Ramos, très jolie voix, musique tendre à souhait, mais toujours pas ce que je cherchais. Je voudrais quelque chose de plus…mélancolique, lui avouais-je alors. Ah ! Je n’osais pas, me répondit-il avant de disparaître au fond de la boutique. Il fouilla un moment et revint le sourire aux lèvres, satisfait, presque triomphant. C’est mélancolique au possible, je crois que ça va vous plaire. De la musique arménienne. Mélancolique, oui, superbe surtout, elle collait à merveille à mon humeur, c’était elle que je cherchais, sans le savoir. Je le remerciai vivement et passais le reste de la journée à savourer ces mélodies en lisant Alessandro Baricco.
Parce que la musique adoucit les moeurs, et parce que le meilleur moyen de la vendre et de la faire entendre, le magasin dispose de deux enceintes extérieures. Juste sous mes fenêtres. Voilà comment je me réveille en musique, sans avoir besoin de la choisir. Elle est toujours agréable, douce aux premières heures, joyeuse à midi, plus rythmée ensuite et chaude en fin de journée. Parfois, je lui téléphone pour connaître le nom d’une voix qui m’interpelle, d’une guitare qui me séduit. Je l’entends sourire à travers le combiné.
D’autres fois, on fait une sorte de concours lui et moi. J’envoie un morceau, il me réponds, et ça peut durer une heure, on se parle en musique, on rit beaucoup. Et nos duels se terminent toujours ainsi : je monte le volume sur une pièce que j’ai trouvée chez lui, et je le vois sortir de la boutique, lever les yeux vers moi et me sourire. Il est un peu fier, je crois.
Dès que je quitte l’immeuble, je passe devant le magasin et le salue à travers la vitre. Avant de partir en vacances, je suis entrée lui dire à tout bientôt ! Il m’a promis de jolies choses à mon retour, il attend quelques perles que j’ai hâte de découvrir.
C’est un grand luxe que de vivre au dessus d’un magasin de musique. D’être la voisine-copine d’un vrai disquaire. Probablement un des derniers, il est de si beaux métiers qui disparaissent.
L’harmonie du monde existe. Elle chante sous mes fenêtres.