Alors que le monde, suite à une maladie affectant les gènes humains, s'est tout juste habitué à une transformation d'une partie de sa population en "créatures", François et son fils Émile adolescent, déménagent dans les landes, afin d'accompagner le déplacement de Lana, la mère d’Émile, dans un centre spécial fermé. Logés dans un camping à côté de ce dernier, ils sont avertis d'un accident grave du camion transportant Lana et d'autres créatures, où certains ont trouvé la mort, mais apparemment pas elle. Tous deux se lancent donc à sa recherche dans les bois attenants. Julia, adjudant de gendarmerie, tentant d'aider François, à sa manière. Pendant ce temps, Émile, qui a incorporé une nouvelle classe pour les deux mois avant l'été, se comporte de plus en plus étrangement...
Thomas Cailley ne va pas nous refaire Le loup garou de Londres (pas si rigolo, exagéré ni fantastique), ni Sweet Tooth (très Disneyien quelque part, malgré son scénario alternatif dénonciateur ne manquant pas de dureté). Non, tel un conteur, inspiré par l'histoire de la Belle et la Bête, il va nous donner à voir, entendre et ressentir les difficiles relations entre éléments d'une même famille, d'une même communauté, s'éloignant progressivement, mais inexorablement les uns des autres, à cause de différences, d'abord minimes, puis de plus en plus prégnantes. Et pourtant, cette progression devrait nous permette une adaptation, et l'empathie nécessaire. L'humain est cependant ainsi fait qu'il se laisse envahir par la peur et la haine. Ces êtres humains, choisis par le destin - tel lors d'une pandémie inconnue et récente frappant au hasard et détruisant des familles - subissent, et perdent progressivement jusqu'à la parole, en plus de leur apparence, développant par ailleurs d'autres "qualités". Repoussés, torturés, puis traqués, ("Pas de bestioles ici !") ils auraient pourtant besoin de compassion, d'accompagnement. Cela vous fait penser à quelque chose ? La période Covid 19 bien, sûr, mais surtout les migrants de tous pays. Le même sort leur est réservé. Quant à la forêt, dernier et seul refuge inespéré, ne la leur doit-on pas ? Cette forêt que l'on détruit aussi, et pour laquelle on a assez peu de considération. Finalement : Thomas Cailley ne parle pas autant d'un quelconque règne animal dont on voit mal comment de fait il pourrait régner - vu notre armada toute puissante à contrer ses congénères - que de nous-mêmes, les vraies "bêtes" que l'on cherche à mater. Et cette "maladie" qui nous tombe dessus sans prévenir, n'est-elle pas simplement le signe évident de notre défaillance, de notre capacité à nuire, en tant qu'humain, auprès de la nature et de nos semblables !?
Mention spéciale aux acteurs, dont Paul Kircher (Émile), Billie Blain (Nina), et bien sûr Romain Duris, et au ton du film, assez réaliste et juste fantastique ce qu'il faut. On aurait aimé cela dit comprendre pourquoi ce changement de gêne affecte autant les humains, en poussant certains à se transformer autant différemment : de mammifère à batracien, poulpe ou même insecte (!?!), et pourquoi ces élèves de...lycée ? se conduisent comme de bien matures jeunes adultes, capables de discussions tellement sérieuses et construites, et d'engagements socio-politiques, alors que cela est si différent dans la vraie vie ? Nous ferait-on prendre des vessies pour des lanternes ? Ou bien un changement de gêne est-il déjà aussi à l'œuvre chez eux ? Le Règne animal, c'est bien cela : un conte moderne, où la bête n'est pas celle que l'on croit.
FG
A lire : un article intéressant sur la prouesse des effets spéciaux du film, et une comparaison (influence) intéressante du réalisateur entre le comics Black Hole de Charles Burns et son film : https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Le-Regne-animal-une-prouesse-d-effets-speciaux-pour-ce-bijou-de-SF-francais
A voir aussi : le Tumblr de Frederik Peeters, proposant les dessins préparatoires aux diverses créatures du film : https://frederikpeeters.tumblr.com/