En 2010, Clara Wasserstein et Yochonon Lowen, deux juifs hassidiques, avaient terminé leurs études secondaires dans une école religieuse privée à Boisbriand sans savoir parler français et à peine l'anglais.
Ils ont intenté en 2020 un procès concernant la responsabilité du gouvernement du Québec à l'égard de ces enfants tel que le prévoit la Loi sur l'instruction publique.
Ils ne réclamaient ni dommages ni intérêts, mais voulaient éviter que des générations futures d'enfants subissent ce qu'ils avaient traversé. Ils n'ont jamais été préparés à être intégrés dans la société québécoise. Leurs études ont été complétées en yiddish dans une école religieuse qui ne détenait pas de permis.
Ils n'ont jamais eu de cours d'histoire, de géographie, de sciences ou d'arts. Sans diplôme, ils ont éprouvé beaucoup de difficultés à trouver du travail.
La Direction de la protection de la jeunesse a évalué qu'en 2014, 280 garçons avaient des lacunes tant en lecture, en écriture (autant en français qu'en anglais) qu'en mathématiques de base. En 2017, la DPJ en dénombrait encore une centaine de cette communauté.
La cause sur les écoles religieuses s'est réglée avec une entente hors cour. Les jeunes juifs ont été enregistrés comme enfants étudiant à domicile devant suivre un cursus scolaire et passer les examens du ministère. L'église est un centre que les jeunes peuvent fréquenter sans l'obligation d'y être scolarisés.
En 2020, Wasserstein et Lowen n'ont pas obtenu le jugement qu'ils espéraient, la cour ayant considéré que les changements apportés par le gouvernement avaient réglé la problématique.
ConcertationMarine Dumond-Després, présidente de l'Association québécoise pour l'éducation à domicile (AQED), nous présente une autre réalité à laquelle les familles sont confrontées.
En 2015, un rapport de la Protection du citoyen soulève certaines problématiques avec la scolarisation à domicile et les disparités des résultats obtenus par les jeunes qui étudient à la maison. Selon les régions, selon les commissions scolaires, certaines familles ont moins accès aux services et aux suivis dont ils ont besoin. Dans certains endroits il n'y a qu'une personne responsable de ces dossiers. Quand le poste devient vacant, certains jeunes n'ont plus accès aux services; abandonnés, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes. Dans le cas où la famille s'attend à recevoir du soutien, comme des manuels, c'est un problème. Mais pour la majorité des familles, le suivi par une entité gouvernementale ne leur apparait pas essentiel. Pour elles, pas de suivi peut sembler mieux qu'un suivi contrôlant.
À la suite des rapports du protecteur du citoyen sur l'école à la maison, une commission publique débute en 2017. Une Table de concertation nationale en matière d'enseignement à la maison est mise sur pied. Citoyens et associations telles que l'AQED peuvent faire des recommandations.
La réflexion a amené de réels progrès. Le gouvernement offrait alors de soutenir le processus éducatif du jeune et non pas d'avoir une approche contrôlante et contraignante. En 2018, ce travail permet de préciser la loi et de créer un département au ministère de l'Éducation. Ceci élimine l'implication des commissions scolaires auprès des jeunes faisant l'école à la maison, permettant d'offrir un service constant et régulier aux enfants.
U-turn gouvernementaleLe gouvernement libéral sanctionne le projet de loi 144 et un premier règlement avait été émis en 2018. Moins d'un an après sa mise en œuvre, le gouvernement de François Legault, avec le ministre Jean-François Roberge, modifie ce règlement, pour rendre le suivi plus contrôlant et exigeant. Le discours change unilatéralement. Le gouvernement de M. Legault impose ses idées et ses façons de faire. La Table de concertation est suspendue en 2018.
Les modifications de lois apportées par le gouvernement Legault font cependant réagir. Retour aux services qui seront offerts par les centres de services scolaires et leurs disparités régionales.
Ces amendements impliquent que les jeunes qui font l'école à la maison doivent maintenant se présenter obligatoirement aux examens du ministère pour les niveaux équivalant aux 4 e et 6 e années ainsi que les 2 e, 4 e et 5 e secondaires.
" Pour le jeune qui va à l'école conventionnelle, 50 % de sa note est basée sur l'examen et l'autre 50 % sur les notes obtenues tout au long de son parcours scolaire. Mais si vous faites l'école à la maison, l'examen du ministère compte pour 100 % de la note de l'enfant ", souligne M me Dumond-Després.
De plus, la présidente soutient que la moitié des enfants qui font l'école à domicile ont des troubles d'apprentissage ou des atypies cognitives (dysphasie, TDAH, douance...) auxquels le système d'éducation publique ne peut répondre adéquatement. C'est l'éducation à domicile qui leur permet de performer malgré tout.
Le suivi ne doit pas dénaturer le droit du jeune à l'éducation. Il existe plusieurs autres outils pour l'évaluer qui n'impliquent pas uniquement l'examen final du ministère. Des rapports d'évaluation sont réalisés pendant l'année, un portfolio est réalisé tout au long de l'année...
" On peut passer ses examens pour obtenir sa citoyenneté en visio-conférence sans surveillance, mais aucune facilité pour ceux qui font l'école à la maison ", souligne M me Dumond-Després.
Anne-France Goldwater arrive !Marine Dumond-Després, cherchait quelqu'un pour aller aux barricades avec ses revendications contre les agissements du gouvernement envers les enfants qui reçoivent une éducation à domicile. Il n'est pas nécessaire de creuser loin dans des recherches sur les causes similaires pour se rendre compte rapidement que la spécialiste est la seule et unique Anne-France Goldwater.
M me Dumond-Després présente sa cause à Maître Goldwater : l'avenir de plus de 10 000 enfants québécois scolarisés à domicile. La fougueuse avocate ne peut refuser et s'empresse d'accepter.
" Peu d'avocats peuvent prendre ce genre de cause ", explique l'avocate. " C'est un travail ardu, qui exige beaucoup de temps et de concentration. Ça nécessite une grande rigueur. Il ne faut pas craindre les représailles. " Parce que les représentants du gouvernement ont le tour d'être déplaisants envers les gens qui veulent remettre en question leur façon de faire. " Ça prend du doigté et de l'entregent. "
D'entrée de jeu, Maître Goldwater dresse la table : " Nos gouvernements veulent implanter leur système même s'il ne répond plus aux citoyens. Ça devient rigide, contaminé par le politique qui se place au-dessus du citoyen. "
" Faire l'école à la maison, c'est le dévouement de parents qui se dédient à l'éducation de leurs enfants. Certains parmi ceux-ci ont des besoins que l'école ne peut leur fournir. D'autres sont des surdoués et l'école n'est qu'un boulet pour eux. Les parents leur offrent une implication adaptée à leur réalité. Au lieu de chercher des solutions, il faut faire face à des fonctionnaires qui restent sur leur position sans s'occuper de la finalité ", commente l'avocate.
" Si toutes les parties ne pensaient qu'au bien-être du jeune et de ses parents, si tout le monde se mettait en mode recherche de solutions, ce débat devrait être facile... pourtant ", s'étonne Maître Goldwater.
" Il devrait être facile de trouver une solution. Il faut amadouer l'adversaire pour l'amener à dire oui. Trouver un terrain de bonne entente. " L'avocate croit que " c'est dommage de dépenser le temps et l'argent de l'AQED ".
" Ce n'est pas l'action qui est questionnée, mais la façon dont on l'applique et on l'utilise. Le gouvernement impose maintenant ses examens ministériels aux étudiants qui font l'école à la maison. Une grande disparité existe sur la façon dont cela se passe avec les étudiants qui vont à l'école régulière ", souligne Maître Goldwater.
Iniquité" Quand un jeune fait l'école à la maison, il doit aller passer l'examen dans une salle qu'il ne connaît pas, avec un surveillant qui est un parfait inconnu. À l'école régulière, ça se passe dans sa classe, avec son professeur régulier. Cet enseignant peut consulter des exemples d'examens antérieurs pour mieux diriger sa formation, ce qui est refusé aux parents qui font école à la maison. C'est comme si le gouvernement tenait pour acquis que tous les parents qui s'investissent dans l'éducation à domicile étaient des fraudeurs et des tricheurs ", précise la fougueuse avocate.
" Le gouvernement paye ses enseignants et leur offre des vacances et des avantages de retraite pour s'occuper des enfants. Les enseignants ont aussi le droit à un service de secrétariat scolaire pour faire une partie du travail administratif. En contrepartie, il y a des exigences envers eux ", ajoute Maître Goldwater.
" Mais ce même gouvernement, face à des parents bénévoles qui doivent payer de leur poche plusieurs outils pédagogiques, exige que tout ce que le jeune fait soit documenté et informatisé. Le parent en vient à manquer de temps pour enseigner les matières parce qu'il doit passer trop de temps à expliquer et tout justifier ", souligne l'avocate.
" L'intégrité de l'objectif est ébranlée par ce manque de confiance envers les parents. Les enfants doivent passer les examens du ministère, mais celui-ci ne transmet pas aux parents les résultats pour savoir où le jeune a besoin d'être aidé. Un examen, ce n'est pas juste une note. Ça doit être un outil formateur et constructif pour guider l'enfant et son parent dans les prochaines étapes de son apprentissage. Mais le ministère ne conserve aucun registre, aucune archive de ces examens ", dénonce Maître Goldwater.
L'avocate insiste sur l'idée que l'on apprend sa langue en la pratiquant. " Plusieurs outils que nous utilisons aujourd'hui peuvent augmenter les problèmes d'apprentissage de notre langue. Sous prétexte que tout le monde ait un ordinateur, on n'enseigne plus à l'école l'écriture à la main ! "
Maître Goldwater révèle d'autres faits troublants. " Depuis sept ans, le législateur provincial dicte aux avocats de changer leurs attitudes, leurs philosophies, et de penser en fonction d'une recherche de solution. " Malgré cet appel à régler les différends, les représentants du gouvernement ne travaillent pas dans ce sens.
" Un gouvernement devrait être là pour le peuple. C'est facile d'attaquer de petits groupes au lieu d'aider l'ensemble du monde. Est-ce que le gouvernement tente de décourager les parents qui font école à la maison pour qu'ils reviennent tous à l'école conventionnelle ? ", questionne Maître Goldwater.