Car l’Italie ne saurait rester inerte alors que le grand frère Hitler est assuré d’un triomphe irrésistible.
Antonio Scurati livre ici le troisième opus d’une biographie romancée mais largement documentée du dictateur fasciste et de ses principaux acolytes. Et ce n’est sans doute pas un hasard si ce livre est un best-seller en Italie depuis sa sortie en 2018, dans un contexte de résurgence au pouvoir de formations d’extrême droite.
Du lendemain de l’Anschluss de 1938 à l’ouverture des hostilités envers la France (sur terre) et l’Angleterre (sur mer), nous assistons à la lente dérive vers le désastre d’un potentat devant lequel, depuis 1921 et la création du Parti National Fasciste, tout s’est plié à sa volonté.
Une histoire racontée à travers les yeux de sa jeune maîtresse, Clara Petacci ou de celle qui, jeune, lui a mis le pied à l'étrier, Margaretha Sarfatti contrainte à l'exil, ou de certains de ses plus fidèles soutiens qui se voient rejetés à la suite de l’adoption des lois raciales.
C’est le cas de l’avocat Renzo Ravenna, ancien podestat de Ferrare, authentiquement italien, héros de la grande guerre, authentique fasciste et juif. Car selon les autorités, le problème racial n’a pas éclaté subitement chez les fascistes, mais est lié à l’Empire …
Ici encore une fois, la théorie de l’espace vital, la griserie de la conquête : l’Ethiopie, l’Erythrée, la Somalie, l’Abyssinie où le Duce envisage d’envoyer des colons pour mettre en valeur ces territoires au lieu d'émigrer en masse aux Etats-Unis. Bientôt ce sera l’Albanie, pourquoi pas la Grèce et la Roumanie ?
Un objectif de son veule ministre des affaires étrangères, le comte Galeazzo Ciano, mari de sa fille préférée Edda, le « gendrissime » dandy qui court d’une chancellerie à l’autre, avale toutes les couleuvres et se fait berner par Hitler et Ribbentropp. L’Albanie du « roi » Zog sera « sa » conquête …
Chapitre courts, entrecoupés passages de journaux intimes, d’articles de presse, de citations de discours : le style est à la fois imagé, parfois poétique, toujours efficace, l'auteur est un orfèvre du langage que sa traductrice nous transmet brillamment.
On y rencontre à chaque instant le sentiment d’humiliation de l’Italie à la suite du traité de Versailles, son ressentiment envers la France, la fascination devant les succès politiques, diplomatiques puis militaires des nazis, les relents d’un passé devenu légendaire, les faiblesse d’un tribun fatigué, omniscient, brutal qui s’efforce en permanence à coller à son image, coûte que coûte. Pathétique.
Et d'une actualité incandescente ...
M, Les derniers jours de l’Europe, roman biographique d'Antonio Scurati traduits de l’italien par Nathalie Bauer, aux éditions des Arènes, 462p.,24,90€