Noor a vingt-neuf ans, mais en paraît dix de moins. Et surtout, avec son visage à l'ovale exact et reposant, avec son nez très légèrement plus long et fort qu'on n'attendrait de la perfection (mais cet infime accent marque sa noblesse); avec la lumière intense et veloutée de ses yeux, ses yeux qui semblent dire à quiconque: ne me faites pas souffrir en me refusant votre sourire - avec tout cela, Noor est belle, simplement.
Cette description correspond à l'apparence de Noor quand elle est reçue le 7 juin 1943 à Londres par Leo Marks, un collaborateur du SOE (Special Operations Executive), créé par Churchill.
Noor est une princesse indienne. Son nom est Noor-un-Nisa1 Inayat Kahn (1914-1944). Son père, Hazrat, était un prince indien soufi 2, qui, à ce moment-là, a déjà rejoint le paradis d'Allah.
La mère de Noor, Ora Baker, est anglo-écosso-irlandaise. Hazrat, musicien et conférencier, l'a rencontrée en Amérique et épousée à Londres. Noor est née à Moscou, pendant une tournée.
Les Inayat Kahn ont habité Londres, Moscou et Suresnes, banlieue ouest de Paris, dans une grande demeure, Fazal Manzil 3. Ce qui explique le bilinguisme de Noor, un atout pour le SOE.
L'autre atout de la jeune femme, qui a regagné Londres en juin 1940, est que, musicienne, elle se révèle habile clavieriste, ce qui est déterminant pour devenir une opératrice radio du SOE.
Ce ne sont pas ses capacités techniques qui interrogent les responsables du SOE pour l'envoyer sur le terrain, en l'occurrence en France. Ce sont ses autres capacités pour affronter l'ennemi.
Noor s'envole finalement dix jours plus tard pour la France, où un avion la dépose à une vingtaine de kilomètres d'Angers, qu'elle gagne à vélo après avoir passé la nuit dans une ferme.
À la gare d'Angers elle prend le train pour Paris, Gare-Montparnasse, d'où elle se rend par le métro au 40 de la rue Erlanger, qui est l'adresse de son contact et où elle arrive sans encombre.
Étienne Barilier replace le récit dans son contexte. Dans la résistance, il y avait de vrais héros, tels que Noor, mais aussi des traîtres, des agents doubles et, à Londres, de graves fautifs...
Quoi qu'il en soit, son livre, basé sur une histoire vraie et bien documenté, même s'il ne comporte pas de bibliographie, se lit comme un roman d'espionnage dont la fin est hélas connue.
Le dernier mot du récit revient à Leo Marks qui se sent responsable et coupable d'avoir jeté Noor dans le malheur, tout en sachant qu'il n'a fait qu'accepter sa décision et respecter son courage.
Ce roman historique se termine en effet par une vision que l'agent anglais agnostique a de Noor dans sa grande beauté, la vérité de son être, et qui lui fait s'adresser à elle en ces termes:
J'essaie du moins de croire en quelque chose: le sourire humain. Le vôtre est là. Je sais qu'il va demeurer, libre du corps disparu.
Francis Richard
1 - Ce qui signifie Lumière des femmes
2 - Il voulait harmoniser l'Orient et l'Occident.
3 - Ce qui signifie Maison de la bénédiction
Noor, Étienne Barilier, 384 pages, Phébus
Livres précédents:
Le piano chinois (2011) Éditions Zoé
Ruiz doit mourir (2014) Buchet-Chastel
Les cheveux de Lucrèce (2015) Buchet-Chastel
Dans Karthoum assiégée (2019) Phébus
La maison des Inayat Kahn à Suresnes: