J'ai écrit "l'économiste" mais c'est difficile de bien le qualifier, lui-même se décrit sur son blog comme . Major à Polytechnique, IEP Paris, ENA, Conseil d'État, doctorat d'État en sciences économiques à Paris-Dauphine (thèse dirigée par Alain Cotta et soutenue en 1972 sur "La Théorie de l'ordre par le bruit dans la théorie économique"), assurément, Jacques Attali est une intelligence très brillante ...et très rare."L'Avenir de la vie", éd. Seghers), il aurait proposé l'euthanasie pour toutes les personnes âgées de plus de 65 ans. C'est bien entendu faux, il répondait à des questions et les citations qui ont été extraites du livre sont trompeuses. (Emma Donada).Son avocat Concrètement, tous les mal-attentionnés qui vouent une haine contre Jacques Attali (dont " L'histoire m'a appris une dernière leçon : elle est tragique. Toujours. Le pire est le plus probable. Toujours. Et la meilleure façon de l'éviter est de s'y préparer. Cela veut dire, pour les démocraties, de ne pas baisser la garde (...), de se préparer à des compromis (...) ; et, pour les Européens, à écouter ces leçons, à se mettre d'urgence en économie de guerre, et à se préparer au pire, pour l'éviter. " (Jacques Attali, le 12 octobre 2023, sur son blog).
Ce mercredi 1 er novembre 2023, l'économiste Jacques Attali fête son 80 e anniversaire. Faut-il y voir un signe, d'être né à la Toussaint ? Évidemment non, chacun a eu une chance sur 365 d'être né ce jour-là (et donc, en principe, près de 22 millions d'humains devraient avoir son anniversaire ce jour-là).
" écrivain, éditorialiste de l'Express, président de la Fondation Positive Planet, du Groupe A&A, et de Slate.fr "
Georges Kiejman, aujourd'hui décédé, se vantait d'ailleurs d'avoir obtenu toujours gain de cause devant les tribunaux sur ces fausses informations : " Jacques Attali a gagné le procès qui lui attribuait une opinion favorable à l'euthanasie des vieillards. " . Du reste, Jacques Attali lui-même a répondu à ses détracteurs de mauvaise foi dans un recueil d'entretiens avec Frédéric Taddeï, "À tort et à raison", sorti en 2020 (éd. de L'Observatoire) : . " On m'impute des idées que je n'ai jamais eues. Par exemple, je serais ou j'aurais été, l'apologue de (...) l'euthanasie des retraités. Je défie quiconque de trouver dans un seul de mes textes ces idées, à condition de ne pas extraire une phrase de son contexte, pour lui faire dire le contraire de ce qu'elle dit. Et de ne pas confondre ce que je perçois comme une menace avec ce que je pourrais souhaiter. " les ressorts sont facilement imaginables) s'amusent à dire dans les réactions aux articles évoquant ces fake news qu'ils ont acheté le livre et que les phrases en cause sont bien écrites, mais ils sont incapables de faire une photo des pages concernées et de les proposer en lien aux autres internautes, laissant ainsi planer l'imposture intellectuelle. Qu'importe, on dira toujours qu'il n'y a pas de fumée sans feu.
Aussi sur le blog.
Il a acquis ses vraies lettres de noblesse médiatique comme "conseiller spécial du Président de la République" de 1981 à 1991. François Mitterrand avait été séduit par cette mécanique intellectuelle incroyable qui venait d'adhérer au parti socialiste en 1974. De ces dix années à l'Élysée, au plus près du pouvoir suprême (tous les visiteurs du Président devaient passer par son bureau !), est sorti son fameux best-seller "Verbatim" en trois tomes (sortis en 1993 et 1995 chez Fayard) où il a publié les confidences présidentielles de son mentor, sans doute avec l'ambition d'être un livre référence comme le "C'était De Gaulle" du ministre Alain Peyrefitte.
C'est sans doute ce métier d'écrivain qui occupe le plus son temps, et dont il est le plus fier. Il n'est en effet d'ailleurs pas peu fier d'avoir commencé à être édité dès l'âge de 30 ans, bien avant sa notoriété médiatique et politique. Selon mon décompte, Jacques Attali serait l'auteur de 98 ouvrages, principalement des essais, plusieurs biographies, quelques romans, et même du théâtre. Un production de masse qu'il dit assurer dans la solitude de la réflexion.
Jacques Attali.
Certains ouvrages ont une certaine prétention comme le dernier "Le Monde, modes d'emploi : comprendre, prévoir, agir et protéger", sorti en mai 2023 chez Flammarion : " J'ai rassemblé ici tout ce que chacun devrait savoir sur la marche du monde et son avenir. Tout. " a-t-il cabotiné auprès de la journaliste Vanessa Schneider pour un portrait dans "Le Monde" du 4 juillet 2023 où il a précisé son rythme de vie : une heure de gym par jour, jeûne quotidien de seize heures (un repas sauté), pas d'alcool, pas de tabac, pas de café, mais du chocolat et surtout, du travail. Des conférences, des visites à l'étranger, des activités de son cabinet de conseil auprès de patrons et de gouvernements qui marche rudement bien (avec vingt-cinq collaborateurs à son service), trois à quatre livres lus chaque semaine, et plusieurs livres écrits par an.
À la journaliste Anne-Sophie Novel dans "Le Monde" du 2 avril 2015, il expliquait : . Ah oui, j'avais oublié, Jacques Attali est aussi un chef d'orchestre passionné. " Je dors peu et j'ai pour habitude de me lever tôt. Si je mène des activités de natures différentes, ma principale obsession est d'avoir du temps libre et de la solitude, de ménager du temps pour l'inattendu, pour lire, écrire ou faire de la musique. Certains dorment peu et ne font rien de leur journée, donc dormir peu n'explique pas tout, c'est l'intensité du temps qui compte. "
Assurément, Jacques Attali ne connaît pas la retraite, malgré ses 80 ans : " Je rêve d'une société où chacun, grâce à la robotisation, et à l'organisation politique et sociale, pourrait exercer l'activité qu'il souhaite, sans limite de temps. Dans une telle société, la revendication principale serait de retarder l'âge de la retraite, et pas de le réduire. Il n'y aurait pas de retraite, où travailler serait naturel... On en est évidemment très loin pour l'immense majorité des gens, et il faut réduire de toutes les façons possibles le temps consacré à des travaux pénibles, dégradants, ennuyeux, aliénants. Le critère d'une bonne société, c'est la part de bon temps" , librement choisi pour devenir soi, que chacun peut avoir. Une bonne société est une société où l'on préfère le lundi matin au vendredi soir, autrement c'est une société aliénée. ".
"
On l'a compris, Jacques Attali est un utopiste. Il anticipe, il imagine, il crée des mondes futurs. Parfois, cela peut donner le tournis. Ou prêter à sourire sinon à rire. Entre autres, il pense que seul, un gouvernement mondial, raisonnable, dépassionné, pourrait trouver des solutions aux graves problèmes du moment comme les bouleversements climatiques. Comme il dit, il rêve.
Il l'a confirmé le 2 septembre 2023 sur France Inter, face à Charline Vanhoenacker : " Aujourd'hui, personne ne gouverne. C'est bien, parce qu'on n'est plus sous la domination absolue des États-Unis. On n'est pas encore, et à mon avis on ne le sera jamais, sous la domination de la Chine, parce que je ne pense pas qu'elle y arrivera. Ce qui n'est pas bien, c'est qu'il n'y a pas à la place quelque chose qui serait une organisation internationale crédible et sérieuse. Et si on n'est pas capable, avec les 500 millions d'habitants, de s'organiser, comment va-t-on être capable de le faire avec dix fois plus d'habitants à l'échelle de la planète ? C'est pour ça qu'il est si important de réussir l'Europe. (...) Dans un an, c'est les élections européennes. Quel parti, quelle organisation, présidera la Commission Européenne ? On a besoin d'avoir des gens puissants et compétents. Et malheureusement, on ne nomme pas toujours les meilleurs à Bruxelles, pour une raison d'ailleurs assez classique, c'est que les hommes politiques dans tous les pays européens ont toujours peur d'envoyer à Bruxelles quelqu'un de très bon pour leur faire concurrence. Ce qui fait que pratiquement tous les pays européens n'envoient pas leurs meilleurs comme commissaires à Bruxelles. Mises à part quelques exceptions comme Jacques Delors ou quelques grands Belges, on n'a jamais eu une classe politique européenne de très haut niveau. Il y a aujourd'hui, au Parlement Européen, des gens formidables ; j'ai beaucoup d'espoir. ".
Il rêve, donc. C'est peut-être pour cela qu'il n'a jamais été ministre. L'aurait-il voulu ? À mon sens, oui. Une personnalité brillante, mais moins brillante que lui, le même moule, la même génération presque, c'est Laurent Fabius, un camarade du lycée. Arrivé plus tard que Jacques Attali au PS, mais ministre dès 1981, Premier Ministre dès 1984. Attali, c'est l'intello, ce n'est pas l'acteur, l'opérationnel, il est le prospecteur. Malgré ses fonctions de banquier : premier président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERP) d'avril 1991 à juin 1993 (son frère jumeau Bernard Attali a été, lui, PDG d'Air France de 1988 à 1993).
L'influence de Jacques Attali sur le pouvoir politique n'est cependant plus à rappeler. Lorsqu'il était le directeur de cabinet du premier secrétaire du PS avant 1981, il s'était adjoint deux collaborateurs énarques qui furent plus tard présents à un second tour d'élection présidentielle (et l'un l'a même gagné), Ségolène Royal et François Hollande.
Un peu plus tard, en 2007, le Président Nicolas Sarkozy l'a nommé président de la commission pour libérer la croissance économique ( son rapport ici), et il s'est adjoint un jeune haut fonctionnaire, un certain Emmanuel Macron. L'image qui les montre l'un à côté de l'autre le 10 septembre 2007 est assez trompeuse maintenant qu'Emmanuel Macron est Président de la République : le sous-fifre est bien Macron et le patron Attali, qui bénéficie d'ailleurs d'un fauteuil plus luxueux. On prête aussi à Jacques Attali le conseil de choisir en 2017 le député-maire LR du Havre Édouard Philippe pour Matignon. En 2015, il a même envisagé sa candidature à l'élection présidentielle de 2017, face à la vacuité qui se dégageait à gauche. Mais faire campagne n'est pas un boulot facile pour un intellectuel.
Les dernières chroniques de Jacques Attali sur son blog évoquent bien sûr l'actualité brûlante.
Le 19 octobre 2023, par exemple, il faisait un parallèle intéressant entre le FLN et le Hamas, entre l'Algérie (il est né à Alger) et la Palestine : " Dans l'esprit du Hamas et des autres antisionistes, la situation d'Israël aujourd'hui est la même que celle de l'Algérie française : pour eux, son existence est illégitime ; et, pour eux, les Juifs israéliens devront choisir, comme les Français d'Algérie, entre la valise et le cercueil" .
". Ils savent que, en Algérie, à défaut de gagner la guerre sur le terrain, le FLN l'a gagné politiquement sur la scène internationale ; et que, pour faire partir tous les Français, il avait fallu créer les conditions de l'impossibilité d'une coexistence entre les deux communautés. C'est ce qui s'est passé quand certains Algériens (pas tous) déclenchèrent un terrorisme aveugle, jetant des bombes dans les cafés, assassinant des familles entières ; et quand une partie des Français d'Algérie (pas tous) choisirent d'y répondre par la création d'une organisation terroriste, l'OAS, qui assassina aveuglement des milliers d'Algériens dans les rues. Bien des jeunes pieds-noirs en firent partie et répondirent à l'horreur par l'horreur, pour la plus grande joie de leurs adversaires, heureux de les voir tomber dans ce piège, qui aboutit au départ de tous les Français d'Algérie, seulement huit ans après le début de la guerre d'indépendance. Le Hamas, organisation terroriste, qui veut que tous les Israéliens meurent, ou au moins qu'ils quittent tous la région, emploie la même stratégie : la barbarie, pour provoquer une contre-barbarie. La barbarie des actes, celles des vidéos montrant leurs actes barbares, pour exciter la colère des Israéliens, et l'invention d'actes barbares qu'auraient commis les Israéliens, pour exciter la colère du monde contre eux. Beaucoup d'Israéliens ont participé à cet engrenage, en tombant dans le piège de l'occupation, puis dans celui de la colonisation, puis du contre-terrorisme. Dès le début, bien des voix s'étaient élevées, y compris dans les plus hautes sphères de l'armée israélienne, contre cette colonisation, qui ne pouvait que corrompre l'âme des occupants. Aujourd'hui, si les Israéliens répondent à la barbarie par la barbarie, à l'horreur par l'horreur, ils perdront leur âme, je dirai même leur raison d'être qui est morale autant qu'historique ; et ils provoqueront les mêmes conséquences que celles qui interdirent aux Français de rester en Algérie. "
Le 5 octobre 2023, sous le titre insolite "L'éléphant et le lion", Jacques Attali reprenait sa casquette d'économiste pour évoquer la structure des sociétés : .
Je termine par des reproches récurrents sur Internet. Dans les réseaux sociaux, de la désinformation tourne en effet en boucle à propos de Jacques Attali. C'est vrai qu'on ne prête qu'aux riches. Ainsi, dans un recueil d'entretiens faits par Michel Salomon sorti en 1981 ( " La démocratie [est], et sera, le meilleur des systèmes pour répartir les biens publics rares. (...) Il en va de même avec le capitalisme, c'est-à-dire avec l'allocation des biens privés rares par les marchés, quels que soient les propriétaires, privés ou publics, des entreprises. Il n'existe là non plus aucun système qui puisse prétendre rivaliser avec lui : aucun système ne sait mieux que le marché organiser la production et l'échange efficace de biens privés, susciter l'innovation, vaincre les rentes. Il est vrai que comme la démocratie, le marché est loin d'être parfait : il n'empêche pas les gaspillages, ni l'allocation des ressources à des secteurs nuisibles, ni la concentration excessive de richesses. (...) De plus, le marché et la démocratie ont besoin l'un de l'autre pour compenser leurs faiblesses : le marché a besoin de la liberté de circuler, d'innover, de créer, de changer et d'une règle de droit stable, protégeant en particulier la propriété privée, et réduisant les inégalités, que seule la démocratie peut lui garantir. Et la démocratie a besoin du marché pour fournir à chacun un certain nombre de libertés qu'une économie planifiée ne peut que remettre en cause et qui constituent des fondements de la démocratie. Mais les deux systèmes ne sont pas également puissants. La démocratie est, par nature, limitée par deux sortes de frontières : celles de ses domaines de compétences, qui ne peuvent changer aisément ; et celles de son champ d'application, qui est limité à un territoire géographique. On peut la comparer à un éléphant : très puissant mais peu mobile. Le marché, quant à lui, c'est-à-dire le capitalisme, ne respecte aucune limite : aucune frontière géographique ne gêne un marchand ; aucun domaine d'intervention ne lui est fermé ; aucun bien public n'est à l'abri de sa privatisation ou de sa marchandisation pour ceux qui ne sont pas encore intégralement inscrits dans la sphère marchande : le marché a vocation à transformer en objets tous les services que les humains se rendent les uns aux autres, à s'orienter vers les secteurs les plus rentables (...). On peut le comparer à un lion. (...) La survie de l'humanité ne passe pas par la disparition de la démocratie ou du capitalisme, mais au contraire par la mise en œuvre de règles planétaires et démocratiques, capables de protéger la nature, le vivant, les faibles, et le temps, d'un marché à la fois nécessaire et suicidaire. "
La rubrique Checknews de "Libération" a d'ailleurs fait cette conclusion le 12 octobre 2018 (il y a cinq ans) : " En résumé, Jacques Attali n'a jamais proposé d'euthanasier les plus de 65 ans ni même déclaré qu'il était favorable à une telle mesure. Les phrases qui lui sont prêtées sont des raccourcis à partir de déclarations dans un ouvrage de 1981 où il abordait les questions de l'allongement de la durée de vie, du suicide ou de l'euthanasie. "
De même, il n'a jamais planifié ni souhaité la pandémie de covid-19 avec pour objectif de réduire la population, en particulier en ciblant les populations âgées, d'autant plus qu'attendre quarante ans pour que cela se réalise, c'est quand même un peu long pour une planification (et en plus, celle-ci s'appliquerait à lui-même, ce ne serait pas très malin). Mais Internet est ainsi, on fait courir de fausses rumeurs et elles se font références mutuelles.
Sylvain Rakotoarison (28 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jacques Attali et le Titan d'OceanGate.
Jacques Attali et Emmanuel Macron : pourquoi la fresque d'Avignon était antisémite.
François Mitterrand, Jacques Attali et la science.
Document : Rapport Attali du 23 janvier 2008 à télécharger.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231101-jacques-attali.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jacques-attali-conseiller-special-250948
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/10/29/40089308.html