La Conscience de Zeno est un célèbre classique italien, qui a beaucoup influencé la littérature européenne du 20è siècle. J’envisageais de le découvrir depuis longtemps et c’est grâce à mon cercle de lecture que j’ai pu trouver le déclic nécessaire.
Note Pratique sur le livre
Éditeur : Le Livre de Poche
Date de publication : (initiale) 1923
Traduction de l’italien, introduction et notes de Maryse Jeuland-Meynaud
Nombre de pages : 538
Quatrième de Couverture
Publié en 1923, La Conscience de Zeno est sans doute le premier grand roman inspiré par la psychanalyse. Mais il est bien plus que cela. Avec la confession de son narrateur, – entreprenant d’évoquer pour le médecin qui le soigne les faits marquants de son existence –, il demeure l’un des textes fondateurs de la littérature européenne du XXe siècle.
Quelques éléments de l’intrigue
L’histoire se déroule en Italie, dans la ville de Trieste, au début du 20è siècle, avant la première guerre mondiale. Zeno souffre de douleurs psychosomatiques depuis de longues années et il se voit lui-même comme un malade imaginaire, bien que ses maux soient réellement pénibles pour lui à supporter. Il entreprend une cure psychanalytique avec le Docteur S. qui lui demande d’écrire le récit de sa vie, à travers ses événements majeurs. Zeno va ainsi nous relater ses innombrables tentatives pour arrêter la cigarette, les circonstances de la mort de son père, sa grande passion contrariée pour la belle Ada et sa fréquentation assidue de la maison de cette jeune fille et de ses trois autres sœurs, qui ne sont pas toutes aussi belles mais qui ne manquent pas de diverses qualités de cœur ou d’intelligence. Il nous racontera également son mariage – pas tout à fait exemplaire – et sa vie professionnelle : il sera dans les affaires, sous la direction de son beau-frère.
Mon Avis
C’est un roman assez prenant dans l’ensemble – malgré quelques baisses d’intérêt ponctuelles, inévitables dans un roman de plus de cinq cents pages – et on arrive sans mal jusqu’au bout, curieux de savoir si ce héros va guérir de son hypocondrie et si sa cure psychanalytique va le faire progresser d’une quelconque manière.
On se dit pendant tout le roman que le héros a des défauts beaucoup plus graves que ses maladies imaginaires, et qu’il faudrait songer à améliorer son caractère et sa personnalité mais notre Zeno se trouve souvent des excuses et reporte ses responsabilités sur les circonstances ou sur les personnes qui l’entourent.
Menteur pathologique, il réussit généralement à tirer son épingle du jeu et à retourner les situations à son avantage – ce qui l’entraîne dans des raisonnements extrêmement compliqués où tout est calculé et soupesé…bien qu’il se trompe finalement assez souvent sur les gens et qu’il leur prête des intentions qu’ils n’ont pas.
Il faut bien dire que Zeno est un homme peu sympathique et un héros de roman parfois désagréable à suivre mais au moins il ne peut pas laisser indifférent et on n’arrive pas non plus complètement à le détester car il a un côté pitoyable ou comique. D’ ailleurs son caractère tourmenté et outrancier, qui balance entre le bien et le mal, m’a fait penser à certains personnages de Dostoievski et je n’ai pas été étonnée de lire qu’Italo Svevo admirait l’écrivain russe.
Une caractéristique de ce roman est que tout tourne autour de Zeno et que les autres personnages sont loin d’être aussi creusés que ce héros omniprésent – qui nous donne donc une impression complètement nombriliste et égocentrique.
Il est vrai que les situations sont décrites de manière remarquable et que l’auteur a un sens psychologique qui pourrait être rapproché de Proust par sa finesse et ses approfondissements successifs.
Ce qui m’a paru peu vraisemblable dans l’intrigue c’est que le psychanalyste demande à Zeno d’écrire les principaux épisodes de sa vie – au lieu de les raconter verbalement au cours de séances – alors que je ne crois pas que les psychanalystes pratiquent de cette façon, mais je suppose que c’était plus romanesque par ce procédé.
Un livre que je suis contente d’avoir lu même si je préfère tout de même Dostoievski et Proust – avec lesquels il partage des traits communs.
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Un Extrait page 287
– Tu voudrais vraiment ma peau ? m’a demandé doucement Giovanni en me regardant avec curiosité. Tu as le vin méchant, toi !
Il n’avait pas fait un seul geste pour profiter du vin que je lui avais versé.
Je me suis senti honteux et confus. Je me serais presque jeté aux pieds de mon beau-père pour lui demander pardon. Mais ce mouvement m’a semblé provenir aussi du vin et je l’ai refoulé. En demandant pardon, j’aurais avoué ma faute, alors que le festin continuant, il durerait assez pour me donner l’occasion de réparer les effets de cette plaisanterie si mal réussie. Il y a temps pour tout dans la vie. Les buveurs ne se rendent pas tous immédiatement aux suggestions de l’ivresse. Quand j’ai trop bu, j’analyse mes impulsions comme lorsque je suis sobre et vraisemblablement avec le même résultat. J’ai continué à m’observer pour comprendre comment j’avais pu en arriver à cette pensée perverse de nuire à mon beau-père. Et je me suis aperçu que j’étais fatigué, mortellement fatigué. S’ils avaient su tous la journée que je venais de vivre, ils m’auraient excusé. J’avais possédé et brutalement abandonné une femme par deux fois et par deux fois j’étais revenu à mon épouse pour la renier à son tour à deux reprises. Heureusement pour moi que, par association d’idées, a refait surface ce cadavre sur lequel j’avais vainement cherché à pleurer, et la pensée des deux femmes s’est évanouie ; sinon j’aurais fini par parler de Carla. (…)
Un Extrait Page 406
(…) Mais je me suis soudain rappelé que, sous l’effet du caprice d’un homme ambitieux, je venais de me déchaîner contre le pauvre Guido, et dans l’un des moments les plus noirs de sa vie. Je me suis livré à un examen : j’assistais sans trop souffrir à la torture infligée à Guido par ce bilan que j’avais dressé si méticuleusement et il m’en vint un doute curieux aussitôt suivi d’un souvenir encore plus curieux. Le doute : étais-je bon ou étais-je méchant ? Le souvenir, suscité brusquement par ce doute qui n’était pas nouveau : je me voyais enfant et portant encore (j’en suis sûr) une robe courte, lorsque j’ai levé mon visage pour demander à ma mère souriante : » Je suis sage ou je suis méchant, moi ? » A l’époque, ce doute avait dû être inspiré au petit enfant par tous ceux qui avaient loué sa sagesse et par tous les autres qui, en plaisantant, l’avaient qualifié de méchant. Il n’était pas du tout étonnant que le garçonnet ait été embarrassé par ce dilemme. Ô incomparable originalité de la vie ! Il était surprenant que le doute qu’elle avait jadis infligé à l’enfant sous une forme aussi puérile n’eût pas été résolu par l’adulte alors qu’il avait déjà franchi le milieu de sa vie.