Quatrième de couverture :
Le colonel Bantry est contrarié : on l’a tiré de son sommeil pour lui faire constater un fait particulièrement vexant : une jeune femme, inconnue de lui, a été trouvée étranglée dans sa bibliothèque. Heureusement que la demeure des Bantry est voisine de St Mary Mead, où réside Miss Marple…
Nous revoici à St Mary Mead, le village de miss Marple, où un crime particulièrement extravagant vient d’être commis : une jeune femme blond oxygéné, vêtue d’une robe à paillettes de mauvais goût, vient d’être retrouvée étranglée dans la bibliothèque du major Bantry lui-même ! Le cher homme est obligé d’aller se ressourcer dans ses fermes pour oublier cette horreur qui risque bien de le livrer aux ragots et au bannissement social. Qu’à cela ne tienne, sa chère épouse vole à son secours en demandant à miss Marple de trouver la clé du mystère. Le coupable pourrait bien être le jeune godelureau aux moeurs très bruyantes récemment installé dans le village. Mais l’enquête se dirige vers un hôtel du voisinage où réside monsieur Jefferson, un homme infirme – et riche, bien entendu -, sensible à la vitalité et à la sympathie des jeunes gens.
Convoitises, jalousies, artifices, miss Marple comprendra tout grâce à sa connaissance de la nature humaine, sur laquelle elle ne se fait aucune illusion, et à son légendaire sens de l’observation. Grâce à elle, la police du comté viendra à bout de ce mystère bien alambiqué et de criminels à l’esprit bien retors.
Ce n’est peut-être pas le meilleur Miss Marple mais il ne manque pas de piquant. J’adore l’humour d’Agatha Christie face à un village anglais et cette lecture légère était la bienvenue après une série plus « complexe ».
Première page : « Mrs Bantry rêvait. Ses pois de senteur venaient de remporter un premier prix à l’exposition florale. Le pasteur, revêtu de sa soutane et de son surplis, distribuait les récompenses dans l’église. Sa femme traversait nonchalamment l’auguste assemblée en maillot de bain mais, heureux privilège des songes, cette incongruité ne soulevait pas parmi les paroissiens le tollé qu’elle eût assurément déclenché dans la réalité…
Mrs Bantry était ravie. Elle adorait ces rêves du petit matin qui s’achevaient par le premier thé de la journée.
Le petit matin. Quelque part dans son subconscient, elle en percevait les bruits dans la maison. Le raclement, sur leur tringle, des rideaux de l’escalier tirés par la femme de chambre ; celui du balai-brosse et du ramasse-poussière de la bonne dans le couloir. Plus loin, le lourd claquement du loquet de la porte d’entrée que l’on déverrouillait.
Un nouveau jour commençait. En attendant, il fallait profiter au maximum de cette exposition florale, car déjà sa nature onirique devenait de plus en plus apparente…
À l’étage au-dessous, les grosses persiennes en bois du salon furent ouvertes. Elle entendit sansentendre. Pendant une bonne demi-heure encore, la rumeur habituelle de la maison allait continuer, discrète, étouffée, sans la déranger tant elle lui était familière. Jusqu’à atteindre son point culminant – un pas alerte et assuré qui approcherait dans le couloir, le frôlement d’une robe de coton imprimé, l’infime tintement d’un service à thé posé avec le plateau sur la petite table, derrière la porte, puis les coups légers frappés au battant et l’entrée de Mary pour tirer les rideaux.
Dans son sommeil, Mrs Bantry fronça le sourcil. Quelque chose d’insolite venait perturber son rêve, quelque chose d’intempestif. Les pas dans le couloir. Trop précipités. Trop tôt. Elle attendit inconsciemment les tintements de la porcelaine. Mais la porcelaine point ne tinta. Les coups furent toqués à la porte. De façon automatique, du fond de son sommeil, Mrs Bantry répondit : «Entrez». On ouvrit. Elle attendit le glissement des rideaux sur leur barre.
Mais les rideaux ne glissèrent pas. Dans la pénombre verte de la chambre, la voix de Mary s’éleva, haletante, affolée :
— Madame ! Oh, Madame, il y a un cadavre dans la bibliothèque !
Puis, secouée de sanglots nerveux, ladite Mary se précipita hors de la pièce. »
« Le téléphone de miss Marple sonna tandis qu’elle s’habillait. Ce qui, vu l’heure inhabituelle, la mit quelque peu en émoi. Sa vie rangée de vieille demoiselle était tellement réglée que les appels téléphoniques inattendus étaient source de vives conjectures.
– Ca, par exemple, fit-elle en lorgnant d’un oeil perplexe l’appareil qui insistait. Qui cela peut-il bien être ?
De 9 heures à 9 heures et demie du matin : tel était le créneau généralement admis au village pour les appels amicaux entre voisins. Les projets de la journée, les invitations, tout se discutait à ce moment-là. On savait qu’il était arrivé au boucher de téléphoner juste avant 9 heures lors d’exceptionnelles difficultés d’approvisionnement. Un coup de fil accidentel pouvait survenir pendant la journée, mais il était toujours mal vu d’appeler après 9 heures et demie du soir. Il est vrai que le neveu de miss Marple – écrivain, donc farfelu – s’était déjà manifesté aux heures les plus aberrantes, une fois même à minuit moins dix ! Mais quelles que soient ses excentricités, Raymond West n’avait pas celle de se lever matin. Ni lui ni aucune des connaissances de miss Marple n’était susceptible d’appeler avant 8 heures du matin. 8 heures moins le quartn en fait.
Trop tôt pour un télégramme, même, puisque la poste n’ouvrait qu’à 8 heures.
– Ce doit être une erreur, décida-t-elle. »
« Le problème dans cette affaire, c’est que tout le monde s’est montré beaucoup trop crédule, beaucoup trop enclin à donner dans tous les panneaux. On ne peut pas se permettre de prendre tout ce qu’on vous dit pour argent comptant. Moi dès qu’il y a du louche, je ne crois plus personne ! Je connais trop la nature humaine et sa malignité ! »
Agatha CHRISTIE, Un cadavre dans la bibliothèque, nouvelle traduction de Jean-Michel Alamagny, Le Livre de poche, 2020 (Libraie des Champs-Elysées, 1994)
2023 sera classique chez Blandine Vivrelivre (hors-thème du mois)