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L'édito : la WTA continue de sombrer et personne ne semble pouvoir la sauver
Publié le 24 octobre 2023 par FranckyL'institution vieille d'un demi-siècle, présidée par un homme qui n'a plus aucune crédibilité, se fissure de partout. Ni la légende vivante Billie Jean King, ni les joueuses elles-mêmes ne paraissent en mesure de porter secours à ce grand bateau à la dérive alors que la nouvelle génération en provenance du circuit Junior commence à arriver. Une situation qui ne risque pas de s'arranger dans le futur au vu des récents développements.
Comme à chacune de ses apparitions publiques, Billie Jean King arbore ce sourire contagieux, symbole de son éternel optimisme. Invitée récemment de la célèbre émission de divertissement The Masked Singer, elle a conquis le public par sa bonne humeur, un des traits forts de sa personnalité. À bientôt quatre-vingt ans, la californienne aux 129 titres en simple, dont douze titres du Grand Chelem, est plus attachée que jamais à la WTA, qu'elle a fondé en 1973. Mais, elle n'est pas dupe pour autant. Alors que l'association fête cette année son cinquantième anniversaire, celle-ci se trouve entachée par une série d'événements qui ont jeté le trouble sur l'ancien joueur Steve Simon, devenu en 2015 directeur général de la WTA. Consciente du problème et des enjeux, Billie Jean King a beau garder le moral et étudier toutes les solutions possibles, elle sait que la maison qu'elle a mis du temps à construire repose sur des fondations plus fragiles que jamais. Si l'ancienne numéro une mondiale n'ose pas le dire tout haut, le coupable de cette dégradation est tout désigné : Steve Simon, lui-même.
Pourtant, l'homme né en 1955 avait plutôt bien fait les choses jusqu'à maintenant. En 2021, alors qu'éclatait au grand jour l'affaire Peng Shuai, ancienne joueuse ayant accusé de viol le vice-Premier ministre chinois Zhang Gaoli (qui exerça de 2013 à 2018), Steve Simon n'hésitait pas à brandir la menace d'une suppression de tous les tournois de la WTA disputés en Chine, après que l'athlète née dans la province du Hunan ait soudainement disparu suite à ses accusations. Devant la réticence des autorités chinoises à donner plus d'informations au sujet de Peng Shuai, Simon mit sa menace à exécution le 1er décembre 2021 en suspendant tous les tournois du circuit professionnel féminin en Chine. Depuis, les choses ont évolué mais, pas forcément dans le bon sens. Si Peng Shuai a montré des signes assurant qu'elle était en bonne santé et libre de tous ses mouvements, elle s'est soudainement rétractée dans ses déclarations concernant le viol qu'elle aurait subi, dans un message public diffusé en présence d'un officiel chinois. Il existe donc toujours aujourd'hui une part d'ombre dans cette affaire qui a de quoi laisser dubitatif. Pourquoi un tel revirement de Peng Shuai ? A-t-elle été contrainte de le faire ? A-t-elle subi des menaces de mort, des pressions venues des sphères du pouvoir ? Steve Simon, alerté de ces questions, a alors pris une décision étrange cette année. Sur le fait que Peng Shuai soit en vie et, à première vue, en bonne santé, il a décidé que le bannissement de la Chine sur le circuit WTA devait prendre fin. Pas la peine de se creuser les méninges très longtemps pour comprendre le motif de ce soudain revirement. Steve Simon a besoin d'argent. L'institution qu'il dirige n'attirant plus les foules depuis un certain temps (les tribunes aux trois quarts vides dans les tournois WTA sont là pour en témoigner), Simon n'a pas attendu que l'affaire Peng Shuai trouve un véritable épilogue pour revenir dans le giron chinois. Il fallait agir vite avant que la débandade ne soit totale. Par pur appât du gain, et parce que la Chine n'est pas la deuxième puissance économique du monde pour rien, il a donc réintégré tous les tournois du pays au calendrier et s'est même empressé d'en rajouter quelques-uns pour faire gonfler les profits. Joie et soulagement. Tout le monde, heureusement, ne s'est pas laissé entraîner dans cette gabegie. Ainsi, la française Alizé Cornet fut l'une des rares à faire le bon choix en boycottant la tournée chinoise de la WTA. Dommage qu'elle n'ait pas été suivie par d'autres joueuses, notamment celles du top 10, qui sont toutes allées chercher leur chèque à Pékin, Zhengzhou, Nanchang et Hong Kong, annexé par la Chine. Une honte.
Steve Simon ne veut pas s'arrêter là. Si la Chine rapporte gros, il existe un autre pays qui peut lui rapporter encore plus, c'est l'Arabie Saoudite. Dans un premier temps repoussée, Simon jugeant lui-même dans un éclair de lucidité que ce pays posait, je cite, "de gros problèmes" en matière de droits des femmes et des LGBTQ, l'arrivée de la WTA dans le plus grand pays du Golfe Persique est quasiment actée. Même Billie Jean King semble ne pas s'y opposer, argumentant un changement nécessaire dans un besoin d'ouverture au monde. Mais, l'américaine n'en demeure pas moins préoccupée en rappelant que le statut des femmes en Arabie Saoudite devait absolument évoluer. Disons le clairement, le Masters féminin, prestigieux tournoi de fin de saison, fera un jour étape dans ce pays, c'est l'évidence même des choses, de même qu'un futur tournoi WTA 1000. Là où l'histoire tourne au scandale, et c'est dire à quel point Steve Simon se fiche bien du monde, c'est que cela va se produire alors que l'Arabie Saoudite interdit toujours aux femmes de s'habiller comme elles veulent, d'aller à l'université, d'avoir un compte en banque (à moins que leur époux leur en donne l'autorisation) et de voyager seules.
Steve Simon se fiche des joueuses de la WTA. Quand la guerre a éclaté en Ukraine, le directeur général n'a pas donnée l'impression de se pencher sérieusement sur le sujet. Alors que les tensions sont toujours vives dans les vestiaires, selon ce qui a été rapporté par plusieurs joueuses, il a préféré laisser la situation pourrir au risque de provoquer d'irréparables scissions au cœur même de l'association des joueuses. Il est même allé plus loin en menaçant la fédération britannique de sanctions financières sévères si Wimbledon ne laissait pas revenir dans son tournoi les russes et les biélorusses exclues en 2022. Une menace pour le moins efficace (puisque c'est de toute façon par cette méthode qu'il arrive à faire des miracles), la Lawn Tennis Association ayant fini par céder. Steve Simon, vassal de Poutine et de la Russie ? On ne peut pas dire en tout cas qu'il ait fait le nécessaire pour calmer les choses et ce n'est sans doute pas demain la veille qu'on le verra modifier son cap sur ce sujet ô combien épineux. Car, il y a un impact dans ce conflit sur la santé mentale des joueuses. Dans ce domaine, la WTA n'a rien fait pour arranger les choses, elle les a même empirées. Parce que la santé de ses joueuses importe peu, l'association a eu l'idée remarquable de faire jouer cette année le Masters féminin au Mexique, une semaine après la tournée asiatique. Et ce n'est pas tout, puisqu'il faudra retourner en Europe juste après pour jouer la phase finale de la Billie Jean King Cup, à Séville, compétition si chère au cœur de BJK qui cherche à la promouvoir comme étant une vraie coupe du monde de tennis, alors que l'épreuve a perdu son âme depuis qu'elle a été réorganisée. Le comble dans tout ça (on en rirait presque) est que la WTA s'est lancée depuis quelques mois dans un exercice de promotion sur le thème de la santé mentale dans le sport de haut niveau en signant des contrats juteux avec des spécialistes du genre (médecins, psychiatres, scientifiques). Quelle belle hypocrisie alors que le calendrier des tournois est devenu au fil du temps un bazar sans nom.
Cependant, Steve Simon peut dormir sur ses deux oreilles, car, tant qu'aucune joueuse ne bronchera, n'élèvera la voix, il pourra continuer à agir comme bon lui semble. Il peut compter sur le silence et la docilité de plus de 250 joueuses professionnelles qui n'ont même pas daigné remettre en cause ses agissements, de même que ses sinistres projets. Même Iga Swiatek, qui pourtant ne s'était pas privée d'envoyer quelques piques, est rentrée dans le rang. Il suffirait pourtant d'une prise de parole, d'un élan collectif, d'une prise de conscience, pour que tout soit remis en cause mais, non. Pas une voix plus haute que l'autre, pas un cri de colère, pas une joueuse pour dénoncer publiquement l'aberration qu'est devenue l'association à laquelle elles appartiennent. Même Ons Jabeur ne s'est pas manifestée et ne risque pas de le faire depuis qu'elle a les instances israéliennes sur le dos après avoir apporté son soutien à la Palestine. Pourquoi ce silence ? Pourquoi ce manque d'initiative ? Si la WTA ne pouvait être sauvée du poison qui la ronge de l'intérieur, ce sont des années noires qui pourraient commencer...