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La vengeance du pied fourchu 11

Publié le 20 août 2008 par Porky

leroux_239964.jpg Avec un ensemble parfait, ses deux interlocuteurs se tournèrent vers elle. L’homme lui adressa un sourire avenant tandis que la jeune femme esquissait un petit salut de politesse, sans pour autant quitter des yeux Madame Agnès en train de couper le drap. « Nous sommes enchantés de faire la connaissance de la première dame du village, commença le jeune homme de sa voix la plus suave. Surtout lorsqu’elle est si charmante. » Le compliment était d’une banalité à pleurer mais Catherine l’accueillit avec son plus radieux sourire. « Elle se rend ridicule à se tortiller comme ça, pensa Missia. Pourvu qu’elle n’aille pas dire que je suis sa sœur ! » Mais cette crainte était vaine. Madame la Mairesse n’allait pas, devant des étrangers, commettre la bévue de se mettre dans le même panier que cette jeune fille, certes jolie, mais commune et occupée à des tâches vraiment trop ordinaires. Aussi fit-elle comme si Missia était transparente, ce qui enchanta notre héroïne qui pouvait à loisir examiner le jeune couple.

L’homme se mettait en frais pour Catherine, parlait de la foire, du beau temps, de l’animation, vantait la qualité des marchandises, bref, se répandait en éloges sur le village, ses habitants et la région. La jeune femme ayant sorti de son réticule une petite bourse et ayant réglé son achat se joignit à la conversation et les compliments recommencèrent à dégringoler sur la tête de la Mairesse qui, toute prétentieuse qu’elle fût, finit par se dire qu’un tel dithyrambe était peut-être un peu exagéré.

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 Aussi coupa-t-elle court à ces démonstrations. « Mon mari serait ravi de vous connaître, dit-elle. Hélas, il est pour l’instant au conseil, avec ses adjoints. Mais si vous êtes libres un soir de cette semaine, je vous invite bien volontiers à venir dîner. Ce sera tout à fait intime, vous, mon mari et moi. Nous laisserons les enfants à la garde de ma mère, elle en sera ravie. » « Et allez donc ! songea Missia. Les corvées, c’est pour nous. » Elle adorait ses neveux et nièce mais les trouvait parfois fort fatigants et plutôt mal élevés par moments. « Ce sera avec grand plaisir, dit l’homme. Nous sortons rarement, nous préférons les soirées à deux, vous comprenez, nous sommes jeunes mariés… (Ici, la Mairesse roucoula un rire de gorge qui provoqua chez sa sœur un rire spontané qu’elle dissimula prestement dans un semblant d’éternuement.) Mais jeudi soir, par exemple, ce serait parfait. » « Il n’y a aucun problème, dit Catherine, épanouie. Jeudi soir. Nous habitons cette maison-là, juste à côté du champ de foire. » La jeune femme semblait désirer s’en aller. Son compagnon se saisit du morceau de drap et après des remerciements et un salut de part et d’autre, le couple s’éloigna, toujours suivi par nombre de regards curieux, admiratifs et envieux.

« Bien joué », fut le seul commentaire que se permit Missia lorsque les deux jeunes gens furent hors de portée de sa voix. « Tu ne t’imagines tout de même pas que j’allais laisser passer l’occasion de savoir qui ils sont exactement », répondit Catherine en agitant vigoureusement son éventail. « Ce sera sans doute une très agréable soirée, ajouta Madame Agnès. Et puis, vous pourrez ainsi nous donner plus de détails sur eux. » « Certes, certes », répondit la Mairesse sur un ton qui laissait comprendre qu’elle ne donnerait les renseignements attendus que quand elle le voudrait et comme elle le voudrait. Puis, elle tourna les talons et s’en fut parader au milieu des étals.

« Et bien, que penses-tu de tout cela ? » interrogea Madame Agnès, profitant d’un moment où personne ne venait tripoter les tissus. « Je pense que Catherine ferait bien de se méfier, dit Missia, songeuse. Je les trouve trop… lisses, trop courtois. Et trop beaux, je le répète. » « Oh, évidemment, toi, tu te méfies de tout le monde », dit Madame Agnès, évidemment ignorante des problèmes de sa jeune amie. « Au fait, qu’avez-vous donc vu sur le médaillon de la femme ? demanda Missia, intriguée. Vous aviez l’air bizarre quand vous l’observiez. » « Rien de spécial. Je confirme que la pierre est bien un rubis. Ah si ! » Elle se frappa le front. « J’ai vu un mot gravé sur le médaillon. Un mot inconnu. En truc en id… Sarid… Sirid… Ca y est ! Sigrid. Tu sais ce que ça veut dire, toi ? » « Non, dit Missia. Mais c’est peut-être un prénom. » « Pas de chez nous, alors, »  bougonna Madame Agnès. « Vu la couleur de ses cheveux, elle pourrait bien venir d’un pays du nord. » « Et lui du sud, répartit la marchande. Tu as vu comme il est brun ? »

Là-dessus, Marie et Martin apparurent, l’une désireuse de faire des emplettes et l’autre venant faire son tour quotidien afin d’observer les gens. La conversation s’arrêta donc et Missia se consacra à une occupation beaucoup plus agréable que couper du tissu.

La semaine s’écoula sans autre incident.

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On ne revit qu’une fois la jeune femme sur le champ de foire. Elle était seule et se dirigea d’emblée vers l’étal de Madame Agnès. Missia s’était absentée pour aller se rafraîchir. C’était le jeudi matin. Le soir même, elle et son mari devaient aller dîner chez Monsieur le Maire. « Finalement, j’ai craqué, dit-elle de sa voix la plus charmante. Je reviens vous acheter ce tissu qui me plaisait tant. Mon mari va me gronder mais tant pis. » « Il est magnifique, assura madame Agnès, et vous pouvez vous faire tailler dedans une robe splendide. » « Oh, je fais mes robes moi-même, dit la jeune femme. Cela m’amuse et j’adore créer des modèles. » Elle portait ce jour-là une tenue tout aussi ravissante que celle arborée le jour de sa première visite. Madame Agnès se répandit en compliments. Vraiment, on aurait dit vêtement fait par une professionnelle. Et cette façon dont la jupe tombait ! Et ce choix des couleurs, des tons… « Oui, j’avoue être assez douée », se rengorgea la jeune femme. Et pendant que Madame Agnès mesurait le tissu, elle demanda : « Votre fille n’est pas là, aujourd’hui ? » « Ma fille ? répéta Madame Agnès, ahurie. Je n’ai pas de fille. » « Mais la demoiselle qui était ici la dernière fois… « Ah ! Vous voulez parler de Missia ! Ce n’est pas ma fille. C’est celle de ma logeuse. Elle vient m’aider de temps en temps. » Elle hésita un instant puis se résolut à dire ce qu’elle avait sur le bout de la langue. « C’est la sœur cadette de Madame la Mairesse  », confia-t-elle en baissant la voix. « C’est vrai ? dit la jeune femme, surprise. Elles ne se ressemblent pas du tout. Missia… C’est un joli prénom, vous ne trouvez pas ? Le mien à côté sonne terriblement dur. » « Et quel est-il, ma toute belle, si je peux me permettre de vous le demander ? » interrogea Madame Agnès qui savait prendre les perches qu’on lui tendait. « Oh, il n’est pas commun, du moi pas chez vous. Je m’appelle Sigrid. »

(A suivre)


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