- Ma fille est un garçon manqué ! claironnait mon padre, qui essayait d'inventer des preuves d'une éventuelle testostérone pour l'instant invisible à l'oeil nu.
La narratrice, Elena, parle là d'un temps lointain, limite paléolithique... Elle avait moins de dix ans, disons sept. Or il n'est pas besoin pour une fille d'être un garçon manqué pour faire du sport et ne pas faire de la danse classique ou du patinage artistique.
Vénus partielle est sous-titré Récit de ma sueur. Plus que la testostérone, la sueur est ce qui caractérise le sport, quel qu'il soit et c'est peut-être pourquoi, pour des raisons olfactives, il était de bon nez, à tort, d'en réserver la pratique à la gent masculine:
Le sport est une voie royale pour se réapproprier son corps et l'envoyer dans toutes les directions.
Elena ne cherche pas à être civilisée. Elle veut bouger comme un garçon sans en être un pour autant. Qu'importe le sport pourvu qu'elle ait la suée. Ce seront les patins à roulette, le skate-board, le ping-pong, plutôt que le tennis, plus classe selon ses parents.
Ce seront la natation - où la sueur ne se voit pas et se dilue -, la gym, la danse oui, mais contemporaine, où les beats viennent réveiller les bas-ventres dans un ensorcellement prévisible, l'équitation, une fois seulement, dont le souvenir ne sera que plus fort.
Hors du sport, point de salut!, se dit-elle en quelque sorte, quand elle se souvient de ce que la discipline de l'effort, qui lui est indissociable, lui a apporté pendant son enfance, dans ses diverses pratiques, tandis que son corps connaissait les premiers émois:
Le sport m'a stabilisée, réconfortée, calmée, accompagnée. Le sport m'a cadrée sans m'enfermer. Le sport a façonné mon corps d'athlète, m'a musclée, renforcée, a fait de mes mouvements des gestes arrêtés et non des hélices brassant l'immensité du néant.
Comment ne pas faire ici le rapprochement avec ce qu'écrivait Henry de Montherlant, dans Les Olympiques, à propos de l'apport nouveau de l'athlétisme féminin: il était, selon lui, esthétique et moral, comme l'était depuis les Grecs l'athlétisme masculin?
À l'adolescence le sport est une sexualité comme les autres. Selon Elena, le sport mène à la transe, et la transe à l'extase. De cette extase à l'orgasme, il n'y a qu'un pas, vite franchi: après s'être dépensée dans une activité physique, elle le fait dans une autre:
Tamisant la poussière, je suis cette Vénus partielle qui se compose au fil de ses actes, qui se construit au gré de ses frottements, à la barbe des convenances.
Francis Richard
Vénus partielle, Véronique Emmenegger, 64 pages, BSN Press
Livres précédents aux Éditions Luce Wilquin:
Coeurs d'assaut, 182 pages (2013)
Sorbet d'abysses, 272 pages (2015)