En ce jour de juin aux températures estivales de l'année précédente, Salvatore avait ouvert le feu à plusieurs reprises sur la place de jeux situé sous la fenêtre de l'appartement qu'il occupait dans un immeuble de Lausanne, tuant trois enfants, en blessant quatre autres, et privant une famille de leur femme, mère, fille, enceinte de huit mois.
À la sortie du tribunal qui condamne à la réclusion à perpétuité Salvatore, conduit ici par les incohérences et [...] l'injustice de ce monde, deux femmes font connaissance, l'une d'un certain âge, l'autre prénommée Margot, qui comprend le condamné, ayant éprouvé les mêmes frustrations et sacrifices non récompensés:
Son coeur n'était pas assez généreux pour excuser ses actes bien qu'elle en comprenne les causes. De son point de vue, le malheur d'un individu ne justifiait pas d'être la source de celui des autres.
Cette rencontre est décisive pour Margot, parce que sa gentillesse naturelle est enfin récompensée. Grâce à sa nouvelle amie, prénommée Marguerite, sa vie change. Celle-ci réside dans un petit camping de pêcheurs situé entre un lac et une rivière au bout du canton de Neuchâtel et la prévient qu'une place s'est libérée.
C'est une aubaine pour Margot qui compare le prix annuel de l'emplacement avec le loyer mensuel de son deux-pièces en ville de Fribourg. Elle s'y installe après avoir fait l'acquisition d'une caravane avec le solde de son compte épargne et y rejoint des gens, aux prises avec une misère provisoire, qui y habitent à l'année.
Le contraste est saisissant entre la nouvelle vie de Salvatore dans sa cellule et celle de Margot dans son camping, entre la solitude de l'un et l'entourage quasi familial de l'autre. Car au petit camping, le quotidien est simple et joyeux, les campeurs sont serviables, les infrastructures, suffisantes, l'amitié est omniprésente.
En apparence, Salvatore a tué Sans raison, mais comment expliquer l'inexplicable à ceux qui n'ont jamais su écouter? A contrario, si Margot n'a jamais été logique nulle part, elle reste volontiers dans son petit camping amical pour la simple raison qu'on y [veut] bien d'elle sans jamais la questionner sur qui elle [est].
Le roman de Marie-Christine Horn est tragique parce que la vie n'y est pas dissociée de la mort et qu'il décrit avec réalisme et justesse l'existence misérable des gens d'en bas que broie sans vergogne un système technocratique et déshumanisé, comme l'illustre l'exemple absurde qu'elle donne et qui est plus que plausible:
Pour refaire une carte d'identité, on doit être inscrit dans une commune. Donc pas de domicile légal égal pas d'attestation, pas d'attestation égal pas de carte d'identité, pas de carte d'identité égal pas de domicile.
Ce roman n'est cependant pas tout noir. Au système bureaucratique inhumain, auquel sont confrontés les laissés-pour-compte du petit camping, s'oppose finalement la belle famille qu'ils ont choisie de former délibérément, une famille, qui n'est pas toujours celle qu'on croit, celle qu'est marquée sur le livret à la naissance.
Francis Richard
Sans raison, Marie-Christine Horn, 136 pages, BSN Press - OKAMA
Livres précédents:
Le nombre de fois où je suis morte, Marie-Christine Buffat, 128 pages, Xenia (2012)
Tout ce qui est rouge, Marie-Christine Horn, 386 pages, L'Âge d'Homme (2015)
La piqûre, Marie-Christine Horn, 288 pages, Poche Suisse (2017)
24 heures, Marie-Christine Horn, 96 pages, BSN Press (2018)
Le cri du lièvre, Marie-Christine Horn, 112 pages, BSN Press (2019)
Dans l'étang de feu et de soufre, Marie-Christine Horn, 136 pages, BSN Press (2021)