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Cinq jours de bonté

Publié le 13 octobre 2023 par Adtraviata
Cinq jours de bonté

Quatrième de couverture :

«J’étais le veilleur. Celui qui veillait, ou était censé veiller, sur Raya. Pendant cinq jours. Pas un de plus. Il fallait rentrer à l’heure dite à la clinique. Aucun retard, quelle qu’en soit l’excuse, ne serait toléré.»

Pour cette première sortie depuis tellement longtemps, il emmène Raya à Ostende. Goûter au vent de la mer, de la liberté retrouvée. Il va y en avoir, des choses à rattraper. Retrouver la parole. La proximité. L’intimité. Apprendre, aussi, que le monde n’a pas cessé de tourner depuis son hospitalisation. Les bonnes nouvelles. Les changements. Les renoncements, les pertes, les trahisons aussi. Comment tout faire tenir en cinq jours? Comment, sans violence, offrir à cette femme encore si faible en apparence à la fois le rire et les larmes, la douceur et la vérité? Michel Lambert dépeint avec une grande délicatesse les rapports ambigus de la bonté et de la cruauté.

Voilà un roman où, d’une certaine manière, il ne se passe pas grand-chose : un homme va passer cinq jours à Ostende avec sa femme, internée dans une clinique psychiatrique dont le directeur, le docteur Bernier, va le hanter pendant tout le séjour, sorte de figure tutélaire qui jugera de la réussite ou non de ces courtes vacances. On est au début de mars, Ostende se prépare au traditionnel Bal du Rat mort. Le premier jour, l’angoisse règne dans la voiture, le voyage de Bruxelles à la côte va durer toute la journée. Arrivés dans leur hôtel de prédilection, la relation se renoue difficilement.

Le lecteur va découvrir un homme, Thomas, dont la tête déborde de préoccupations : renouer avec sa femme, vendre un petit tableau (un Poliakoff) pour renflouer ses finances vacillantes, donner des nouvelles de leurs amis à Raya, rompre par téléphone (et en direct) avec sa maîtresse, perdre et retrouver son chapeau… tout cela pouvant être en mode « ou pas… » Ses nuits sont agitées et occupées par des promenades dans la ville, des conversations dans une autre chambre d’hôtel avec un ami alcoolique. Quant à Raya, elle reprend pied dans la vie « normale » et même si elle ne paraît pas très sympathique – un peu plus que lui quand même -, on la plaint de reprendre vie dans ces circonstances.

Michel Lambert, surtout auteur de nouvelles, a l’art de jouer avec les non-dits, il jongle avec les ombres du passé et du présent. J’ai beaucoup aimé ses courtes descriptions de l’état du ciel et de la météo, qui accompagnent le flux et le reflux de cette vie de « couple ». Pour être honnête, c’est Thomas qui aurait sans doute besoin d’être soigné, plus que sa femme, qui semble avoir appris à vivre avec sa dépression. Si le premier jour m’a paru un peu invraisemblable, j’ai, je ne sais trop comment, été ferrée par ce récit fluide qui décortique si bien les aléas de ce couple dans une ville à la fois indifférente à leur souffrance et semblable à leurs ombres et lumières.

Le tableau de Hopper choisi pour la couverture est très parlant. Quant au titre, il nous interpelle sur le sens réel de la bonté !

« Un matin comme celui-là, s’il avait été côté en bourse, aurait fait la fortune de tas de naïfs dans mon genre. L’homme qui me ressemblait en avait été un, de naïf. Il s’était jeté là-dedans les yeux fermés, au son de la joie propre à une époque inconsciente. Toutes ces émotions qu’il avait acheté sans discernement, à la hâte, dans une sorte d’ivresse, après avoir flambé, le temps de quelques fêtes, n’étaient plus aujourd’hui, que cendre et poussière. Il croyait avoir tout, ou presque. Il n’avait plus rien, ou presque. » (p. 8)

« Sur le front de mer, Raya s’est accrochée à mon bras et nous avons tourné le dos au casino, en direction des thermes. L’air était limpide. J’ai levé les yeux. Quelques nuages, mais si fins, si vaporeux, qu’on voyait par transparence le bleu du ciel. J’aurais voulu que notre vie fut pareille. Quelques ennuis par-ci par-là, comme chez tout le monde, mais tellement légers qu’on aurait deviné sous leur trame diaphane notre bonheur, notre joie de vivre. » (p. 67)

« Elle m’a dit :
–Je te hais, mais tu me manques.
Je lui ai répondu:
– Tu me manques mais je te hais.
Voilà où nous en étions. La mort de Brice avait exacerbé les sentiments, en particulier l’attirance physique. Auparavant nous n’avions pas grand’chose en commun, hormis d’être des échoués de l’amour. Maintenant, nous partagions au moins la culpabilité. Une culpabilité terrible, qui ne reposait sur rien de tangible, sinon elle-même. C’était notre secret, notre enfant monstrueux. Quand Raya a été admise à la clinique du dr. Bernier, j’ai perdu d’un coup tous mes repères. Je n’avais plus personne à aider, ni à caresser, ou qui m’aiderait, me caresserait, si bien que je n’ai pas eu la force de résister à Charlotte. A différents indices, j’avais bien compris qu’elle s’était éloignée de Brice. (…) Simplement, nous avions besoin l’un de l’autre, Ou plutôt moi d’une autre, et elle d’un autre. Alors pourquoi pas elle, pourquoi pas moi. »
(p. 95)

Michel LAMBERT, Cinq jours de bonté, Editions Le beau jardin, Collection L’Herbier, 2023

Ce 11 octobre, l’auteur a été invité par la librairie Chantelivre de Tournai dans le cadre de la Fureur de lire. C’est ainsi que j’ai découvert Michel Lambert à travers ce roman. Il a déjà publié de nombreux livres, dont deux sont réédités par Espace Nord (la collection patrimoniale de la littérature belge) et a obtenu le prix Rossel en 1988. Voici quelques propos échangés avec lui, sur ce roman en particulier et sur sa manière d’écrire.

Pour le cadre et son couple de personnages, Michel Lambert s’est inspiré des ateliers d’écriture qu’il a animés dans un centre de santé mentale à Bruxelles, du couple formé par Francis Scott et Zelda Fitzgerald, qui s’étaient séparés après leur retour d’Europe dans les années 1920 (Zelda étant internée dans un hôpital psychiatrique) et qui avaient tenté de se retrouver lors de quelques jours à Cuba (une tentative de réconciliation ratée).

Il plante son décor dans un hôtel d’Ostende bien réel (dont il a bien sûr changé le nom), proche du Casino, avec une hôtesse d’accueil aussi chaleureuse que la Lieve du roman ; la ville est très vraisemblable elle aussi, mais il a pris quelques libertés avec la réalité. La météo, la ville ont leur importance que l’art : le petit tableau de Poliakoff, la couverture avec le tableau de Hopper, le peintre James Ensor, peintre ostendais dont on retient surtout les masques, bien typiques également du roman.

Michel Lambert écrit sans plan défini à l’avance. Il compare l’écriture d’un roman à la conduite d’une voiture : on ne prend pas tous les autostoppeurs ni toutes les personnes rencontrées sur la route. Les choix opérés permettent des relances. Pour lui, un personnage très sensible en littérature est le temps qui passe : c’est ainsi que le format du roman s’est imposé, de même que le point de vue interne, intime, par le personnage de Thomas. Pour l’auteur, un livre a trois auteurs : l’écrivain, le personnage principal (qui doivent s’accepter l’un l’autre) et le lecteur. Pour bien écrire, dit-il, il faut lire de bons livres où l’auteur ne nous dit pas tout. Il faut des métaphores : par exemple, dans le roman, le personnage qui vient frapper à la porte de Thomas et Raya en pleine nuit et à qui ils n’ouvrent pas est la métaphore du mystère à préserver, de tout ce que l’on ne doit pas nécessairement savoir.

« On écrit à deux mains : la main du subconscient et la main rêveuse de la poésie. » C’est sur cette magnifique phrase de Michel Lambert que je referme ce billet.


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