Je suis vivant et vous êtes morts

Publié le 09 octobre 2023 par Alexcessif

Je suis vivant et vous êtes morts - Philip K Dick 1928 -1982

Emmanuel Carrère -Parution 1993

(Le titre de l'ouvrage est tiré d'une phrase du roman Ubik de Dick)

"J’ai lu Dick avec passion, adolescent, et, à la différence de la plupart des passions adolescentes, celle-ci ne s’est jamais émoussée. J’ai relu régulièrement Ubik, Le Dieu venu du centaure, Substance mort, Glissement de temps sur Mars, Le Maître du Haut Château. Je tenais leur auteur – et le tiens toujours – pour quelque chose comme le Dostoïevski de notre temps." Emmanuel Carrère

Note d’intention d'Emmanuel Carrère

« Il est tentant de considérer Philip K. Dick comme un exemple de mystique fourvoyé. Mais parler de mystique fourvoyé sous-entend qu’il existe de vrais mystiques, et donc un véritable objet de connaissance mystique. C’est un point de vue religieux. Si, inquiet d’en arriver là, on préfère adopter un point de vue agnostique, on doit admettre qu’il y a peut-être une différence d’élévation humaine et culturelle, d’audience, de respectabilité, mais non de nature entre d’une part saint Paul, Maître Eckhart ou Simone Weil, de l’autre un pauvre hippie illuminé comme Dick. Lui-même était d’ailleurs parfaitement conscient du problème. Écrivain de fiction, et de la fiction la plus débridée, il était persuadé de n’écrire que des rapports. Les dix dernières années de sa vie, il a peiné sur un rapport interminable, inclassable, qu’il appelait son Exégèse. Cette Exégèse visait à rendre compte d’une expérience qu’au gré de l’humeur il interprétait comme la rencontre de Dieu (« C’est une chose terrible, dit saint Paul, de tomber entre les mains du Dieu vivant » ), l’effet-retard des drogues qu’il avait absorbées dans sa vie, l’invasion de son esprit par des extraterrestres ou une pure construction paranoïaque. Malgré tous ses efforts, il n’est jamais parvenu à tracer la frontière entre le fantasme et la révélation divine – à supposer qu’il en existe une. Est-ce qu’il en existe une ? C’est un point à proprement parler indécidable, dont il va de soi que je ne déciderai pas. Mais raconter la vie de Dick, c’est s’obliger à approcher ce point. À rôder autour, le plus attentivement possible. Ce que j’aimerais faire. »

En 1993, Emmanuel Carrère, qui a été critique de cinéma, a déjà publié plusieurs livres qui relèvent du fantastique, et un essai sur le genre uchronie, Le détroit de Behring. Avec Je suis vivant et vous êtes morts il écrit une biographie de Philip K. Dick qui mêle étroitement la vie et l'œuvre du grand romancier de science-fiction.

Pour Emmanuel Carrère, le romancier californien entrelace divers matériaux. D'abord, ses visions propres, qui sont issues tout particulièrement des souvenirs de sa petite enfance : le récit de sa sœur jumelle morte en bas-âge, la vue de son père avec un masque à gaz avant le divorce de ses parents, l'influence d'une mère abusivement puritaine. Et aussi sa vie privée avec ses épouses successives, dont certaines n'étaient pas des modèles d'équilibres, chaque épouse participant à un mode de vie spécifique à différentes « périodes » : période intellectuelle, période bohème, période bourgeoise, période artiste, période hippy, période junky, période mystique. Enfin, la façon propre à Dick de tout réécrire, aussi bien cette vie privée (passée, présente et future) que l'histoire des États-Unis et du monde d'après la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. Le destin de Dick était donc bien d'écrire de la science-fiction, avec ses univers parallèles, malgré son fort désir d'écrire des romans de littérature générale. Ceux-ci étaient tous refusés, alors que Dick vendait toujours, pour des sommes modiques, ses nombreuses nouvelles et ses romans de science-fiction.

Emmanuel Carrère mêle la « vraie » vie de Dick (il fait principalement référence à la biographie classique de Lawrence Sutin, Invasions divines1), sa vie rêvée, et les inventions à partir de pages écrites par Dick dans ses propres romans, voire des fragments autobiographique