Il n'y a plus rien, que des déchets. Plus d'humains, plus d'animaux, plus de plantes. La Terre est une décharge qui baigne dans une lumière fuligineuse. C'est après l'Apocalypse, et le seul mouvement est celui d'une machine qui depuis des siècles compresse des cubes de métal dans l'espoir de nettoyer les traces affligeantes que l'humanité a laissées dans sa fuite.
Cette vision infernale, le studio Pixar la propose à toute la famille, pour l'été, avec Wall.E. Il y a quelque chose de prodigieux dans le culot de la firme créée par John Lasseter, rachetée par Steve Jobs. Voilà bientôt deux décennies que la plupart des films produits par Pixar exigent beaucoup de leurs spectateurs pour leur offrir encore plus en retour. Ils procèdent d'un amour du risque et d'une confiance dans l'intelligence de l'auditoire qui va à l'encontre du conservatisme frileux de l'immense majorité des films de distraction venus d'Hollywood.
Et Wall.E recule encore un peu les limites. Il est amusant d'entendre une prophétie écologique aussi radicale de la part d'un studio qui a proposé il y a deux ans une ode à l'automobile (Cars, de John Lasseter). On n'attendait pas tant d'audace du réalisateur et scénariste Andrew Stanton, responsable du plus mièvre des longs métrages Pixar, Le Monde de Nemo. D'autant que ce postulat posthistorique se double d'un parti pris esthétique saisissant.
Les premières séquences du film sont tout entières consacrées à la vie quotidienne du robot Wall.E. Une routine qui suit le rythme du soleil (le robot est alimenté par des batteries photovoltaïques). Il parcourt des paysages terrifiants, grandioses, où les squelettes des anciens gratte-ciel sont alignés sur les tours de déchets que Wall.E et ses congénères, aujourd'hui hors service, ont édifiées depuis que les hommes ont quitté la planète.
Au fil des plans, on découvre un peu de vie dans cet univers mortifère. Entre autres singularités, ce film est le seul qui vous fera trouver une blatte mignonne. Et Wall.E trouve un peu de confort dans le spectacle toujours répété d'une séquence d'Hello Dolly sur une cassette VHS. La grâce un peu gauche de la machine-personnage, l'économie forcée de l'expression des émotions (deux cellules photoélectriques en guise d'yeux, pas de bouche, pas de nez) contribuent à un comique d'une élégance que l'on n'imaginait pas compatible avec l'animation numérique.
Bientôt l'univers entropique de Wall.E est bouleversé par l'arrivée d'un autre robot, EVE, venu inspecter la Terre à la recherche d'une trace de vie. Se noue alors une idylle digne des grandes amours au temps du cinéma muet. Entre l'enveloppe lisse et ultramoderne de la robote qui ne touche jamais le sol et la rouille de l'éboueur terrien monté sur chenilles, le jeu des contrastes produit un flirt poussé. La mise en scène utilise des instruments (focales courtes, fondus) que s'interdit normalement le cinéma d'animation, qui donnent ici une sensation très forte de réalité.
RELIQUAT D'HUMANITÉ
Au moment où EVE est enlevée à l'affection du robot, le film est arrivé à la moitié de son cours. L'exploratrice est repartie pour l'espace, et Wall.E se débrouille pour embarquer sur son vaisseau. La romance des Robinson mécaniques est arrivée à son terme, et le film prend un autre tour, plus proche des modèles classiques de la science-fiction. EVE a été envoyée par une colonie humaine qui erre dans l'espace en attendant que la Terre redevienne habitable.
Andrew Stanton montre ce reliquat d'humanité comme une collection de larves devenues incapables de mouvements autonomes, des être dépendants des écrans et des machines. Ils sont tout ronds, tout roses et pas mignons du tout. La mise en scène de ce futur tout aussi inquiétant que ceux qu'imaginèrent George Orwell ou Aldous Huxley respecte pourtant les règles du dessin animé burlesque. Wall.E et EVE doivent affronter les tenants de l'ordre établi, robots modernes et bien-pensants, qui veulent maintenir l'humanité en servitude.
C'est sans doute parce qu'il arrive après l'émerveillement étonné que suscite la première partie du film que ce spectacle apparaît presque conventionnel. Mais il suffit de se souvenir de l'endroit où l'on est - une salle de multiplexe qui projette la dernière production d'une multinationale - pour saisir l'incongruité authentique du moment. Et, de toute façon, il faut rester jusqu'à la toute fin de la séance pour profiter d'un générique délicieusement utopique.
Wall.e - La bande annonce
Film d'animation américain d'Andrew Stanton (1 h 37.)
ARTICLE : Thomas Sotinel Lu sur le site Le Monde.fr