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Labiche et la tortue

Publié le 06 octobre 2023 par Morduedetheatre @_MDT_
Labiche et la tortue

Critique du Chapeau de paille d’Italie, de Labiche, vu le 28 septembre 2023 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Avec Vincent Dedienne, Anne Benoit, Eric Berger, Emmanuelle Bougerol, Rodolphe Congé, Laurence Côte, Suzanne De Baecque, Luc-Antoine Diquéro, Noémie Develay-Ressiguier, Antoine Heuillet, Tommy Luminet, Marie Rémond, Alexandre Ruby et les apprenti.e.s du Studio – ESCA : Balthazar Gouzou, Victor Lalmanach, Noémie Moncel, Léa Constance Piette, Fiona Stellino, Baptiste Znamenak, accompagné musicalement par Alexandre Bourit, Alexandre Delmas, Lola Warin, et mis en scène par Alain Françon

C’était le spectacle à ne pas rater. Dans tous les sens du terme. Le spectacle incontournable de la rentrée, mais aussi le spectacle qui collectionne tellement les grands noms qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Alain Françon, le GOAT, le plus grand metteur en scène français à mes yeux, Vincent Dedienne, Suzanne de Baecque, Anne Benoît, Feu Chatterton!, l’affiche était plus que prometteuse. C’était censé être une explosion. C’était le spectacle que j’attendais le plus en cette rentrée. Mais que s’est-il passé ?

Fadinard se marie. Sa noce est à la porte. Sauf que voilà, le matin même, son cheval a mangé le chapeau de paille d’une dame qui se promenait au bois de Vincennes… avec son amant. Si elle rentre sans son chapeau, son mari risque de trouver ça louche. Alors elle impose à Fadinard de trouver un autre chapeau, le même, et vite. Il va tout faire pour mener à bien sa mission, toujours suivi par sa noce…

J’étais prête. J’étais acquise. Presque conquise d’avance. Je me suis d’abord étonnée de ne pas beaucoup rire. J’avais encore en tête la version de la Comédie-Française, il y a quelques années, menée par Pierre Niney, et je me souvenais d’avoir été pliée, dès le début. Quelque chose cloche. Sur scène, sans étirer, on prend son temps. Ou plutôt, on joue à une vitesse normale une pièce qui appelle le rythme. Je ne comprends pas.

Et je comprendrai de moins en moins. Le rire est un engrenage. Plus on rit, plus on est apte à rire. L’inverse est tout aussi vrai. Moins on rit, plus le mécanisme sera difficile à enclencher. On ne décroche plus que des sourires là où on aurait pu éclater d’un rire franc. C’est un peu ce qui s’est passé ici. J’ai un peu souri. J’ai un peu ri. Et c’est tout.

Je suis inconsolable. Je ne pensais pas dire ça un jour, mais il y a trop de Françon dans ce Labiche. Et la pièce le supporte difficilement. Sa patte ne convient pas au texte. Il aime les tableaux. Il n’est pas rapide. Il retient tout. Peut-être l’a-t-il trop lu. Peut-être manque-t-il un poil de folie. De lâcher prise. Il propose une vision trop réaliste de la pièce. Il la joue premier degré. Le personnage du beau-père, au potentiel comique incroyable, devient très sombre, figure d’une critique sociale certes présente dans la pièce, mais au second plan.

C’est comme si Françon avait voulu mettre trop de profondeur dans ce travail. Comme s’il n’avait pas accepté que ce personnage était d’abord drôle, que c’était sa fonction de premier plan. Tout comme le personnage de sourd, qui devient un sourd lambda sans jamais nous décrocher un sourire alors qu’on connaît le potentiel comique d’un Professeur Tournesol. Les personnages qui devraient être outrés perdent leur outrance, et avec elle tout le rire qu’elle aurait dû entraîner. Les musiques suivent l’ensemble de la proposition. Elles sont cohérentes avec le rythme d’ensemble, c’est-à-dire quelque chose de posé, d’à peine entraînant, qui a aucun moment ne décolle réellement. On ne perçoit pas l’urgence, la folie, l’engrenage qui s’affole, on perd même une grande part de la fantaisie présente dans la pièce. Quel dommage.

Alors oui, c’est beau. Oui, c’est intelligent. Oui, on entend le texte comme on l’a rarement entendu. Françon reste un maître. Les tableaux sont majestueux. Les lumières sont sublimes. Et Dedienne, comme Suzanne de Baecque, comme Anne Benoît, sont absolument délicieux. De ce point de vue-là, c’est parfait. Mais il est difficile de se contenter d’admirer cette qualité de travail – indéniable, au demeurant. C’est peut-être trop brillant pour moi. Je suis peut-être trop simple. Il y avait un test à passer. Un seul. Le rire. Ne pas rire devant ce Chapeau me semble inouï. Parce que le reste, ce qu’il propose, ne suffit pas. La critique sociale ne suffit pas. Elle ne porte pas la pièce. Il manque une saveur essentiel. Il manque le ciment. Il manque la joie.

Je crois que j’ai plus ri devant son Godot que devant son Chapeau. Mince !

♥

Un Chapeau de Paille d’Italie – Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 Bd Saint-Martin – 75010 Paris
A partir de 33,50 €
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