Quatrième de couverture :
L’écriture de Julie Otsuka est puissante, poétique, incantatoire. Les voix sont nombreuses et passionnées. La musique sublime, entêtante et douloureuse. Les visages, les voix, les images, les vies que l’auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux Etats-Unis un homme qu’elles n’ont pas choisi.
C’est après une éprouvante traversée de l’océan Pacifique qu’elles recontrent pour la première fois à San Francisco leur futur mari. Celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir.
A la façon d’un choeur antique, leurs voix s’élèvent et racontent leurs misérables vies d’exilées … leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail dans les champs, leurs combats pour apprivoiser une langue inconnue, la naissance de leurs enfants, l’humiliation des Blancs, le rejet par leur progéniture de leur patrimoine et de leur histoire … Une véritable clameur jusqu’au silence de la guerre. Et l’oubli…
Un court roman que je sors enfin de ma PAL. 139 pages denses, emplies des espoirs, des soupirs, des larmes, des soucis, des cris, des vies de toutes ces jeunes femmes japonaises venues travailler en Amérique, en Californie. Au terme d’un voyage en mer éprouvant, elles découvrent la réalité de ce qu’on leur a fait miroiter : des maris pauvres, parfois laids, parfois violents, une vie de labeur, de souffrance, de courage, d’espoir toujours, de cruel désespoir parfois, en proie au racisme latent. Mais une vie qui s’installe, qui s’accroche, qui finit par se fondre dans le décor à force de travail. Une vie qui va à nouveau basculer définitivement après une attaque que l’on devine être celle du 7 décembre 1941 à Pearl Harbour.
La force de ce roman, c’est son point de vue narratif. Tous les chapitres sont écrits en « nous ». Les sept premiers contiennent toutes les voix de ces femmes exilées au travers du voyage, de la nuit de noces, du travail, de l’enfantement, jusqu’aux conséquences de l’attaque, comme si elles ne faisaient qu’un corps solidaire dans leurs joies et leurs épreuves. Le « nous » du dernier chapitre, intitulé « Disparition », n’est forcément pas le même… Ces choix narratifs et le style – des phrases courtes, presque purement factuelles – tiennent certes l’émotion à distance mais celle-ci ne peut qu’étreindre le lecteur face à la vie de ces femmes. La voix de Julie Otsuka est inoubliable.
« Sur le bateau nous étions dans l’ensemble des jeunes filles accomplies, persuadées que nous ferions de bonnes épouses. Nous savions coudre et cuisiner. Servir le thé, disposer des fleurs et rester assises sans bouger sur nos grands pieds pendant des heures en ne disant absolument rien d’important. Une jeune fille doit se fondre dans le décor : elle doit être là sans qu’on la remarque. Nous savions nous comporter lors des enterrements, écrire de courts poèmes mélancoliques sur l’arrivée de l’automne comptant exactement dix-sept syllabes. »
« Nous avons accouché l’année du Chien, et du Dragon, et du Rat. Nous avons accouché par une nuit de pleine lune. Nous avons accouché un dimanche dans une grange et le lendemain nous avons attaché le bébé sur notre dos pour aller ramasser les fruits dans les champs. Nous avons accouché de tant d’enfants que nous avons vite perdu le compte des années. Nous avons accouché de bébés qui étaient citoyens américains au nom desquels nous pouvions enfin signer un bail pour exploiter la terre. »
« Dans le quartier japonais nous vivions à huit ou neuf dans une pièce derrière notre salon de coiffure, nos bains-douches, dans de minuscules appartements aux murs bruts, si sombres que nous devions laisser les lumières allumées toute la journée. Ils éminçaient des carottes dans nos restaurants. Empilaient des pommes sur nos étals de fruits. Grimpaient sur leurs bicyclettes et allaient livrer leurs courses aux clients en passant par la porte de service. Ils séparaient le blanc et les couleurs dans nos blanchisseries en sous-sol et apprenaient vite à faire la différence entre le sang et le vin. »
Julie OTSUKA, Certaines n’avaient jamais vu la mer, traduit de l’anglais (américain) par Carine Chichereau, Phébus, 2012