Présentation de l’éditeur :
C’est le goût inoubliable de l’enfance que nous livre ici Sheng Keyi, une brassée de parfums et de saveurs venus du plus loin de son enfance dans la campagne du Hunan. L’odeur des eaux dormantes où, se faisant une petite barque d’une bassine en fer, elle va cueillir les fleurs de lotus et les châtaignes d’eau. L’arôme discret des fleurs du jujubier sous lequel elle faisait ses devoirs, celui du riz cuit dans la paille et des beignets d’armoise et de citrouille cuisinés avec les légumes du potager maternel.
C’est un pays d’étangs et de rizières, où l’on mange à peine à sa faim, où l’on ne possède rien. La petite fille rêve de déployer ses ailes et de découvrir le monde au-delà de la rivière. Et elle y réussira, qui sait, mais entre-temps tout ce qui faisait la joie de son enfance aura été détruit. A la liberté de la petite sauvageonne d’alors répond la rare liberté de ton de la romancière d’aujourd’hui. Sheng Keyi dénonce ardemment les ravages de la modernisation des campagnes chinoises et fait renaître l’éclat des vies humbles qui ont disparu.
La quatrième de couverture est tellement bien rédigée que mon billet sera flemmard court. Dans ce petit livre à la fois délicieux et poignant, SHENG Keyi livre son enfance pauvre mais pleine d’imagination, de simplicité et de solidarité entre villageois. Allers et retours entre l’enfant et l’adulte permettent de se rendre compte de la politique désastreuse vis-à-vis des campagnes chinoises et de l’environnement. Le béton envahit la campagne, les rivières sont polluées, les gens ne se rencontrent plus : le constat de l’autrice est amer et implacable. Et pourtant c’est du creux de cette enfance qu’est née sa vocation d’écrivain. Ses textes courts sont accompagnés de ses dessins pleins de délicatesse : une petite silhouette de fille en rouge et noir, le chien Obama et la campagne, les arbres, les étangs, les châtaignes d’eau et les fleurs de lotus dessinés avec douceur et légèreté. Un petit bijou à reprendre de temps en temps, pour la nostalgie, pour la beauté.
« Devant un animal d’une telle bêtise, le chat faisait preuve d’une grande sagesse. S’esquiver ne voulait pas dire qu’il était lâche ou peureux, mais simplement qu’il ne voulait pas laisser souiller son noble pelage par la bave d’un chien galeux. Les chats aiment la tranquillité et la propreté et savent se tenir à l’écart du monde. C’est un trait de caractère qu’ils ont acquis depuis bien longtemps. Calmes et raisonnables, ils ne suivent pas aveuglément le courant et passent le plus clair de leur temps à faire de l’introspection. Ils sont souples et résistants sans être cupides ni voraces. Ils ont une philosophie de la vie et connaissent le sens de l’existence. Perspicaces, ils savent percer les mystères du monde et ne se perdent jamais. Ainsi peut-on dire qu’il n’y a que des chiens fous en ce monde mais pas de chats fous. »
« Il n’y a plus d’étangs, de nos jours, il ne reste que des fosses d’eau noire au-dessus desquelles bourdonnent des moustiques ou des mouches. Les enfants pêchent devant leur ordinateur, sans se douter qu’il y avait autrefois tant de beauté dans ce coin de terre. »
« Il est étonnant de voir combien de gens prennent mentalement leur retraite avant l’heure; c’est bien dommage, car seuls ceux qui, malgré un âge avancé, gardent une passion pour la vie, une soif inaltérable de connaissances et une grande curiosité pour le monde qui les entoure témoignent d’une ouverture d’esprit qui les rend attirants.
Le monde est vaste; on peut passer sa vie au fond d’un puits ou en plein vol. Mais puisque chacun de nous a des ailes invisibles, pourquoi ne pas choisir de s’envoler ? »
SHENG Keyi, Le goût sucré des pastèques volées, traduit du chinois par Brigitte Duzan et Ji Qiaowei, éditions Picquier poche, 2023 (Editions Picquier, 2021)
C’était mon Picquier du mois de septembre.