Le titre de cette belle exposition est « Un peintre et son marchand ».
Elle retrace l’influence réciproque exercée entre un jeune galériste ambitieux, autodidacte et amateur d’art africain et le bel italien cultivé venu à Paris en 1906 pour se mettre à la sculpture.
On y comprend leur intérêt commun pour les statuettes africaines emballées au milieu de ballots de caoutchouc importés par Paul Guillaume.
Lorsque survient la Grande guerre, Amedeo et Paul sont réformés car leur santé est fragile.
Les deux hommes se lient d’amitié, encouragés par Guillaume Apollinaire.
C’est Modigliani qui aurait incité le très jeune marchand (il n’a que 23 ans) à s’intéresser à l’art africain et cambodgien et non l’inverse, et qui l’initie à la pensée nietzschéenne, à Gauguin et à Cézanne.
Leur collaboration joue à plein pendant deux ans : c’est la période des grands portraits, faciles à identifier puisque Modigliani en trace le nom à même la toile : ovale des visages allongés à l’extrême, yeux en amande la plupart du temps vides ou constellés de paillettes.
Outre cinq grands portraits conservés au musée aujourd'hui, plus d’une centaine de toiles ainsi qu’une cinquantaine de dessins et une dizaine de sculptures de l’artiste seraient passés par les mains du marchand.
Grâce au mécénat de Paul Guillaume, le peintre a une vie meilleure, il peut se fournir en matériel et en couleur de meilleure qualité. Mais il est tuberculeux et alcoolique au dernier degré.
Il vit une liaison tumultueuse avec la poétesse Beatrice Hastings (portraiturée en Madam Pompadour), qu’il quitte en 1916 pour Jeanne Hébuterne, rousse flamboyante étudiante en art qui se jettera par la fenêtre à l’annonce de la mort de l’artiste en 1920, alors qu’elle est enceinte de huit mois de leur second enfant.
Paul Guillaume – avec son épouse Juliette Lacaze – réussit, il transforme leur appartement en galerie de peinture où figure en bonne place les tableaux de Modigliani, même si celui-ci lui préfère bientôt un autre marchand, Léopold Zborowski.
Il faut prendre le temps de regarder en fin d'exposition le diaporama de cet appartement-galerie d'art pour mesurer l'apport du couple Guillaume sur l'art de ce début du XXème siècle.
L’exposition rassemble parmi les plus beaux portraits de Modigliani et rend hommage à la clairvoyance d’un jeune ambitieux autodidacte qui fut l’un des collectionneurs d’art contemporain les plus avisés de son temps.
Et cet hommage n’est après-tout que justice de la part du musée de l’Orangerie.
Car c’est en grande partie à Paul Guillaume, en un sens, que le musée doit sa collection unique au monde.
C’est cependant ce que l’exposition passe totalement sous silence : les circonstances rocambolesques de l’entrée de la collection Walter-Guillaume dans la patrimoine national.
Pourtant, il suffit de parcourir quelques pas dans les galeries permanentes pour découvrir le splendide portrait au large chapeau de paille de Juliette (rebaptisée par Paul Domenica) peint par André Derain, l’un des autres peintres soutenus par Paul Guillaume et de se documenter sur son fabuleux destin …
Mais c’est là une toute autre histoire !
Amadeo Modigliani, un peintre et son marchand, exposition au musée de l’Orangerie jusqu’au 15 janvier – Jardin des Tuileries – tous les jours sauf mardi à partir de 9 h. 12,50€