Deux anciens élèves d'un même collège parisien se rencontrent près de quarante-cinq ans plus tard, auréolés de gloire, mais désespérés de constater que les hommes ne savent que faire de leur liberté retrouvée.
Qui sont ces élèves? Georges Bernanos (1888-1948) et Charles de Gaulle (1890-1970).
Le collège parisien? Le collège de l'Immaculée Conception, 291 rue de Vaugirard.
Où se sont-ils rencontrés? À La Boisserie, gentilhommière champenoise, demeure des de Gaulle, à Colombey-les-Deux-Églises, où ils ont échangé céans, dans le jardin et dans la ménagerie.
Quand? Pendant la matinée du 5 décembre 1946, avant de partager un repas avec d'autres invités, dont André Malraux.
Que se sont-ils dit? C'est là que Christophe Gaillard fait oeuvre de romancier, mais très documenté, si bien que les tirades, entrecoupées de quelques longues didascalies, que l'un et l'autre s'adressent sont plausibles, sinon probables.
Car, qui connaît les écrits et les actes de ces deux protagonistes, dont la considération de l'un pour l'autre est avérée, reconnaîtra que l'auteur a fait là de la belle ouvrage et ne les a pas trahis.
Bernanos et de Gaulle ont tous deux quitté la France en hommes libres, tous deux y sont revenus et n'ont jamais craint aucune férule ni aucun bâton.
Tous deux écrivent, de Gaulle au milieu de ses livres, proche de ses documents, Bernanos dans des endroits inconnus, sans se laisser influencer.
De Gaulle déplore le climat moral et intellectuel de la France - sa grandeur est présentement mise à mal, son héroïsme discrédité, sa langue méprisée - et Bernanos que les gens courageux soient rares:
Comme de Gaulle, Georges Bernanos devenait un étranger dans ce monde nouveau. Un profond sentiment d'abandon, exacerbé par la honte des compromissions et des vilenies, l'empêchait d'écrire. Jamais la France n'avait connu de régime plus lamentable, jamais une telle corruption n'avait atteint ce degré dans le marchandage des postes et l'étalage des médiocrités assouvies.
Que diraient-ils l'un et l'autre aujourd'hui?
Peut-être qu'il est urgent, avant d'agir, de retrouver une vie intérieure, à laquelle nous convient les saints, les héros et poètes de France, et de ne pas désespérer, car ce pays s'est toujours redressé quand il semblait perdu, grâce aux mots et aux actions d'hommes tels que tous deux furent.
Francis Richard
Rencontre à La Boisserie, Christophe Gaillard, 236 pages Éditions de l'Aire
Livres précédents:
Une aurore sans sourire (2015)
Chienne de vie magnifique (2018)
La glorieuse imposture (2021)