Quatrième de couverture :
Une nuit, Miles O’Malley, treize ans, se faufile hors de chez lui pour aller explorer les étendues du Puget Sound à marée basse. Il fait une découverte qui lui vaut une célébrité locale. Certains se demandent quand même si cet adolescent imaginatif n’est pas un affabulateur ou… peut-être même davantage ? En fait, Miles est surtout un gosse qui s’apprête à grandir, passionné par l’océan, amouraché de la fille d’à côté et inquiet à l’idée que ses parents divorcent. Alors que la mer continue à abandonner des présents issus de ses profondeurs mystérieuses, Miles se débat avec la difficulté d’entrer dans le monde des adultes.
Miles est un ado extraordinaire à tous points de vue. A treize ans, il a la taille d’un gamin de huit ans (au grand désespoir de son père) et surtout il a une connaissance scientifique et pratique très étendue de la vie maritime : il vit dans l’état de Washington, près de la ville d’Olympia, et passe son temps libre à observer la faune et la flore au gré des marées qui envahissent le Pudget Sound, un bras de mer où il récolte des palourdes, divers crabes et autres étoiles de mer remarquables. C’est un fils unique, qui n’a pas vraiment été désiré et qui profite de la liberté ou de l’inattention de ses parents pour explorer la baie, souvent de nuit (il est insomniaque) mais qui craint plus que tout que ses parents se séparent. Il essaye de prendre soin du mieux qu’il peut de Florence, sa vieille amie atteinte de la maladie de Parkinson, la seule sans doute qui l’écoute et le comprend vraiment. Et bien sûr, il aimerait en savoir plus sur l’amour, pour savoir comment s’y prendre avec Angie, sa voisine (il est en cela « aidé » par son copain Phelps et cela donne de savoureuses conversations qui m’ont bien fait rire). Cet été-là, grâce à la découverte incroyable d’un calamar géant totalement incongru dans ces parages, Miles connaît son heure de gloire… et les affres de l’adolescence.
Ce beau roman d’initiation plein d’humour nous donne aussi une leçon écologique (et pas moralisante) : comme Miles, dont tous les sens sont en éveil sur la plage, ouvrons les yeux sur le monde qui nous entoure, en l’occurrence le monde maritime, écoutons-le, savourons-le, reconnectons-nous à la nature, réadaptons-nous à elle. Le roman évoque aussi très bien les relations intergénérationnelles à travers la belle amitié entre Miles et Florence, ce qui lui permet d’échapper à un placement mortifère. Jim Lynch est en outre un narrateur passionnant, qui nous ménage un final chahuté !
« – Que voudrais-tu qu’on fasse ?
– Que vous regardiez autour de vous le plus possible, je suppose. Rachel Carson a dit que la plupart d’entre nous traversent la vie en aveugle. Ça m’arrive certains jours, mais à d’autres moments je vois un tas de choses. Je pense que c’est plus facile d’ouvrir les yeux quand on est un enfant. On n’est jamais pressé d’aller quelque part, et on n’a pas ces longues listes de choses à faire, comme vous autres. »
« Très tôt, j’ai compris que lorsque vous racontez aux gens ce que vous observez à marée basse, ils pensent que vous exagérez ou que vous mentez, alors qu’en fait vous essayez simplement d’expliquer des choses étranges et merveilleuses, aussi clairement que possible. Le plus souvent, je minimisais ce que je voyais, car je ne trouvais pas de mots assez forts, mais c’est la nature même du milieu marin qui veut ça, ainsi que les rivages où j’ai grandi. Il faudrait être un scientifique, un poète et un humoriste pour espérer tout décrire avec précision, et encore, vous seriez souvent loin de la réalité. En vérité, il m’arrivait de mentir en racontant où et comment j’avais découvert certaines choses, mais, exception faite de ces petits écarts, j’avais bel et bien vu ce dont je parlais. Absolument tout. Et même davantage. »
« Je parvins malgré tout à glisser quelques réponses supplémentaires sans regarder une seule fois ses melons situés à hauteur de ma bouche, sous un sweat-shirt des Cougars. À coup sûr, ils étaient emprisonnés dans un soutien-gorge à agrafes multiples que seul un éminent perceur de coffre-fort aurait su défaire. »
« — T’es un gros naze. Pourquoi ne te sers-tu pas de toutes tes lectures de pédé pour étudier un truc qui nous serve à quelque chose ?
— Comme quoi ?
— Le point G, par exemple.
— Le quoi ?
— Le point G, Calamar Boy. (Il sortit une Kent, la coinça entre ses deux doigts les moins sales et l’alluma.) C’est le bouton qui se trouve à l’intérieur des femmes et qui les rend dingues. (Il marmonnait avec sa cigarette dans la bouche, à la manière des gangsters.) Quand on aura découvert où il se trouve, ce sera tout bon. »
(Ce passage m’a particulièrement fait rire parce que nous avons eu un fou-rire mémorable sur le point G lors d’un examen oral – sans mauvais jeu de mots – il y a quelques années.)
Jim LYNCH, Les grandes marées, traduit de l’américain par Jean Esch, Gallmeister Totem, 2018