Cette année plus que jamais, celle qui s’est imposée comme l’un des fleurons de l’industrie du meuble italienne souhaite accélérer son développement à l’international en ouvrant de nouveaux magasins monomarques. Dans le cadre de l’ouverture du showroom Cassina-Silvera- à Lyon, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Luca Fuso, CEO de l’éditeur depuis plusieurs années. Une rencontre pleine d’énergie, au cœur de l’industrie du meuble italienne, entre tradition et modernité.
Bonjour Luca. Je suis Matthieu, de Blog Esprit Design, un média spécialisé dans les différentes approches du design, et particulièrement ancré sur le rapport de la jeune génération au design !
Bonjour Matthieu !
Tout d’abord, pour mieux vous connaître, pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Mon parcours est assez large. J’ai commencé avec une compagnie française, Danone ! Ensuite, j’ai travaillé aux services marketing de différentes entreprises multinationales pendant de nombreuses années. Après ça j’ai totalement changé de milieu puisque j’ai commencé à travailler pour la mode, et particulièrement pour Diesel avec qui j’ai passé 10 ans ; c’était une belle collaboration, avec une croissance incroyable. C’est ensuite qu’est arrivée ma première expérience avec le design. Je suis devenu le PDG de B&B Italia, à la suite de quoi j’ai travaillé pour une compagnie d’optiques -Safilo, compagnie italienne, la deuxième plus grande du monde- puis j’ai travaillé pour Ferrari. Et maintenant, ça fait bientôt 5 ans que je suis CEO de Cassina !
Qu’est-ce qui vous plaît dans l’industrie du meuble ?
Je suis un client, et j’ai toujours été un client. J’ai toujours eu du mobilier de B&B Italia, pour lequel j’ai travaillé, et c’est la même chose avec Cassina. Donc pour moi, c’était vraiment quelque chose de naturel et d’évident. Il n’est pas rare que des gens m’aient demandé si je travaillais dans le secteur lorsque je me rendais dans les magasins. J’ai toujours dit “non”, mais le jour où ça m’a été proposé j’ai bien sûr dit “pourquoi pas ?”
Cassina est particulièrement connu pour ses éditions d’iconiques du design. C’est difficile d’aller chercher de nouvelles pièces de l’histoire du design à éditer ? Quel est votre secret pour vous renouveler sur ces questions ?
Ça dépend. Ça dépend des auteurs. On a des auteurs comme Charlotte Perriand pour laquelle on a une archive infinie, incroyablement riche. On a tous les ans la possibilité de faire de nouvelles choses et de travailler sur des projets très intéressants. Avec d’autres, c’est plus difficile. On a déjà édité presque toutes les archives du trio Le Corbusier, Jeanneret, Perriand, pour lequel c’est plus difficile de trouver quelque chose de nouveau. Dans tous les cas, nous sommes, je crois, la seule compagnie à être dotée d’une historienne du design en interne. On a la possibilité de chercher en profondeur dans les archives des différentes productions. Et ça, c’est merveilleux et très utile. Nous avons développé une méthode pour éditer les produits des maestri pour lesquels on ne peut pas parler directement avec les auteurs. Ça nous permet de faire des recherches très minutieuses sur les différents matériaux qu’il nous est possible de trouver. Et avec notre historienne, nous avons la chance de pouvoir trouver les moindres petits détails du processus de création d’une pièce, qui est à l’origine même du meuble. Pour nous, le plus important c’est de reconstituer le plus fidèlement possible ce qui a été imaginé durant le processus de création pour remettre l’idée dans le contexte temporel de son époque et la transposer au mieux dans le présent.
Et ça, c’est très important pour voir si des dessins qui pouvaient être intéressants à une époque le sont toujours autant aujourd’hui. On découvre que beaucoup de dessins ne sont plus aussi intéressants qu’ils ne l’étaient. En tout cas, on ne s’adapte pas, on respectera toujours le dessin originel, les dimensions, etc. Et si nous avons besoin de faire des adaptations pour des questions techniques, c’est une étape qui passe forcément par la consultation des fondations, des ayants droits.
Donc notre défi c’est de trouver ce qui était une grande idée à l’époque et qui l’est tout autant aujourd’hui ; des produits intemporels, et ils sont loin de l’être tous !
Depuis votre arrivée chez Cassina, vous faites bouger les lignes. On pense notamment au projet Patronage. Le mécénat, des pièces résolument contemporaines, vous aviez la conviction que le savoir-faire pouvait servir de nouvelles perspectives ?
Absolument. Avec le projet Patronage, l’intention est de refaire quelque chose que Cassina faisait déjà il y a 60 ans. projets de patronage. Dans les années 60, Cassina a eu la possibilité de travailler avec de jeunes designers comme Tobias Scarpa, Gaetano Pesce, comme Mario Bellini qui aujourd’hui sont des icônes, et peuvent d’ailleurs être toujours très créatifs. Tobia Scarpa vient de créer pour nous une collection de luminaires qu’il a appelé Eitie, en référence à son âge -88 ans-. Et ces pièces sont très intéressantes et très contemporaines !
Donc l’idée derrière Patronage, c’est de trouver de jeunes auteurs, de jeunes créateurs avec lesquels on peut faire la même chose, les aider à développer leur travail. Ce n’est pas facile de trouver des designers comme ça ; on a lancé le projet avec Linde Freya Tangelder, une hollandaise basée à Anvers. Je dirai qu’à l’origine elle n’est pas designer ; elle a étudié le design mais se considérait davantage comme une artiste, préférant notamment la production de pièces uniques. Nous souhaitions partir de son univers ; car j’ai découvert son travail sur Internet, alors que j’étais à la plage. J’en ai parlé en interne chez Cassina, tout le monde m’a suivi et on a décidé de l’appeler ! Elle n’y a d’abord pas cru. L’idée c’était vraiment de partir d’une exposition solo qu’elle a réalisée à Athènes et de transposer cette idée sous la forme d’une production industrielle. C’était un exercice très intéressant, de réussir à transformer une idée réalisée en bois, en métal, dans des matériaux différents, avec des contraintes différentes.
On est habitué à travailler avec des designers avec une expérience très poussée, Patricia Urquiola, Philippe Starck, etc. qui connaissent tous les procédés mais là c’était nouveau pour tout le monde. Dans l’ordre, on est devenus mécènes de l’exposition de Linde, puis on s’est lancé dans la conception/production des pièces que l’on connaît aujourd’hui. Cette année, on a demandé à Linde de travailler sur de nouvelles propositions, du côté des luminaires cette fois. On est en train d’expérimenter avec elle sur des matériaux différents ; l’an passé du métal, des éléments rembourrés, et cette année du verre.
Pouvez-vous nous parler de Cassina LAB ? En quoi Politechnico di Milano représentait pour vous le meilleur allier pour ce projet ?
C’était il y a quatre ans. Je suis arrivé chez Cassina, j’ai tout de suite mis sur la table le fait que la durabilité devait devenir l’une de nos préoccupations majeures. Nous devions améliorer la circularité de nos produits, mais on m’a répondu que l’on avait pas les ressources pour traiter un tel sujet en interne. Je me suis questionné sur les possibilités qui s’offraient à nous, en même temps de quoi j’enseignais à Politecnico di Milano où j’ai beaucoup échangé sur cette problématique. Les équipes m’ont répondu qu’elles pouvaient nous aider. Ils ont la possibilité de mener des études multidisciplinaires ; ils sont dotés de biologistes, ingénieurs, architectes, etc.
Effectivement, c’est quelque chose que vous n’auriez jamais pu faire en interne…
Impossible ! On a créé cette équipe multidisciplinaire composée de 15 personnes qui travaillent sur des objectifs que l’on a fixés en amont, qui nous a permis de trouver de nouvelles formes de matériaux que l’on utilise désormais dans nos productions. Dans toutes les pièces Cassina depuis 2020, le rembourrage est composé de bouteilles de plastique recyclées. Aujourd’hui, on se rend compte que le confort est meilleur qu’avec la plume. Et en plus de ça, la plume a tendance à s’affaisser, alors que nos nouveaux matériaux retrouvent en permanence toute leur élasticité.
Au-delà de ça, nous avons fait d’autres choses puisque nous avons trouvé en collaboration avec l’équipe multidisciplinaire quatre formes de développements possibles en matière de durabilité.
Et pour finir, que représente le rachat de Zanotta pour vous ?
Ah ! C’est quelque chose de très important, nous avions aussi racheté Karakter -une petite marque danoise-. Le point commun entre Zanotta, Karakter et Cassina, c’est que les trois marques travaillent avec des auteurs iconiques -Karakter avec Castiglioni, Joe Colombo, Scarpa ; Zanotta avec Castiglioni- mais aussi des acteurs plus jeunes, exactement comme Cassina ! Donc lorsque l’on a appris que Zanotta était en vente, je me suis dit que c’était une occasion que l’on ne pouvait pas laisser passer, je ne voulais pas que quelqu’un d’autre que Cassina puisse l’acheter. J’ai demandé l’aide d’un actionnaire qui nous a permis d’acheter la marque, et j’espère que l’on pourra faire du bon travail avec Zanotta qui est dotée d’une collection vraiment incroyable.
D’ailleurs, j’ajouterai que l’une de mes missions chez Cassina a été le lancement de The Cassina Perspective qui permet une vision nouvelle de la marque, dont les pièces -iconiques ou contemporaines- se mélangent dans des ambiances globales. Ces ambiances que nous recréons au sein de nos showrooms, comme ici à Lyon, permettent à nos clients de se projeter à un point qui ne leur était pas permis jusque là. Et ça c’est très important pour moi ; je dis souvent que nos clients achètent une pièce pour chez eux, pas une pièce de la collection Cassina.
Merci Luca !
Merci à vous !
Photos & propos recueillis par Matthieu Coin – Blog Esprit Design
Cassina Silvera – Lyon
27 Rue Auguste Comte
69002 Lyon
lundi – samedi
10:00 – 19:00
Pour (re)découvrir l’univers de la marque : Cassina
Pour (re)découvrir le distributeur : Silvera