Ce jour-là, à ce moment-là, il est 21 heures, la vie de Cornelius G. bascule. A cet instant, il provoque le courroux des cieux en faisant une déclaration embrouillée relative à l'argent liquide qu'il porte sur lui, une somme pourtant inférieure à ce qu'il est obligatoire de déclarer aux douanes.
Cornelius vient de faire l'aller-retour Munich-Zurich dans la même journée. Un collègue du douanier qui l'a interrogé se souvient de lui à l'aller. Il n'en faut pas davantage pour que, l'incident étant signalé à leurs supérieurs, une enquête soit ouverte sur lui.
Au terme de cette enquête d'un an, il s'avère que ce vieux monsieur, quatre-vingts ans, a deux domiciles, l'un à Munich, l'autre à Salzbourg, et qu'il est allé chercher de l'argent sur un compte en Suisse pour financer le changement de ses valves cardiaques.
En septembre 2011, son appartement munichois est perquisitionné: il détient des tableaux et des dessins que son grand-père et sa tante ont peints ou acquis, des archives cachées par son père dans les tiroirs d'une commode aux tiroirs sans clés. Tout est saisi:
Lui, les oeuvres, c'est la même chose. Il en était le gardien. C'était sa mission.
Ce sont ses derniers liens avec ses morts, surtout avec son père. Celui-ci a été licencié de son poste de directeur du musée de Zwickau parce qu'il défendait l'art moderne allemand. Métis juif, sous les nazis il est devenu marchand d'art par la force des choses.
La collection paternelle, constituée avant et pendant la deuxième guerre, à son issue a été confisquée par les Américains puis lui a été rendue, les soupçons pesant sur lui ayant été levés; il n'avait pas été nazi, ni participé à l'extermination, ni n'en avait tiré profit:
Oui, en tant que quart-juif il a lui-même souffert de persécutions, oui il peut reprendre ses biens et le cours de sa vie.
En novembre 2013, alors que le vieil homme se bat pour récupérer la collection, un article paru dans un magazine parle de trésor nazi, accuse son père d'avoir travaillé pour Hitler et une tempête souffle sur lui, sur l'Allemagne, sur l'Europe, jusqu'aux États-Unis.
De cet homme réel, en lutte jusqu'au bout pour remplir la mission confiée par son père, mort avant de lui dire ce qu'il devait faire de la collection, Marie Perny fait un personnage de roman. Son livre n'est pas sa biographie, mais la Vie imaginaire de Cornelius G.
Ce personnage, plutôt spectateur qu'acteur, reposera finalement en paix. Sa fin venue, les oeuvres auront été mises à l'abri, du moins celles qui n'auront pas été restituées à leurs propriétaires et qui avaient été acquises sans savoir qu'elles leur avaient été volées.
Lui qui a peint quelques toiles pourra dire d'outre-tombe à propos de toutes ces oeuvres qui étaient sa vie: Vous resterez pour toujours. [...] Vous êtes la trace inoubliable que quelque chose fut pour toujours. Toujours. Ce mot n'a aucun sens à l'échelle humaine...
Francis Richard
Vie imaginaire de Cornelius G., Marie Perny, 96 pages, Éditions de l'Aire