Critique de La Culotte, de Jean Anouilh, vue le 20 septembre à l’Athénée – Théâtre Louis Jouvet
Avec Émeline Bayart, Christophe Canard, Marc Chouppart, Thomas Da Costa, Marc-Henri Lamande, Corinne Martin, Laurent Ménoret, Herrade von Meier
Bon, normalement je ne fais pas ça. Je n’étais pas là en tant que Mordue de Théâtre, je n’ai pris aucune note, je ne pensais pas écrire dessus. Pour être tout à fait honnête, je me suis dit pendant le spectacle que c’était impossible d’écrire dessus. Trop risqué. Trop touchy. Mais en fait je ne peux pas. Je ne peux pas laisser passer ça. Parce que c’est trop fort, trop couillu, trop énorme pour ne pas juste dire au moins quelques mots sur cette bombe théâtrale, ce chiffon rouge agité devant le wokisme, ce projet fou. Sachez, chère Emeline Bayart et tous ceux qui ont soutenu ce spectacle, que vous êtes à la fois inconscients et géniaux, et que je vous voue un culte jusqu’à la fin de ma vie.
Alors ce n’est pas vraiment dans mes habitudes, mais là je crois que c’est le moment ou jamais. Je vais faire un petit trigger warning. Cette pièce, c’est la pièce d’un vieux reac. C’est ce qu’elle est, c’est ainsi qu’elle est montée, c’est indéniable. Si vous n’êtes pas à l’aise avec cette idée, je pense qu’il est mieux de passer votre tour. Si vous êtes encore dubitatifs, le résumé de la pièce est accessible ici. Je n’ose pas vraiment m’y atteler, j’aurais peur de gâcher le plaisir…
C’est toujours un peu dangereux d’exhumer des pièces oubliées. Je suis la première à faire la grimace. Le fameux : « Si on l’a oublié, c’est sûrement pour une raison… ». Oui c’est vrai, la pièce a des défauts, elle a quelques longueurs mais ce n’est pas ça qu’on retiendra. On retiendra l’outrance. La puissance comique. L’écho. Et le culot absolu de la monter dans le climat qui est le nôtre actuellement.
La force de ce spectacle, c’est d’y être allé franchement. C’est de n’avoir craint ni la critique ni les on-dit. C’est d’avoir joué le jeu du premier degré jusqu’au bout, assumant les blagues qui ne passent plus, les mains aux fesses, les propos scabreux. Assumer le scandaleux. Assumer l’anti-bien-pensance. La haine du féminisme, la nostalgie d’un monde où on passait tout aux hommes, tout y est. Ce spectacle, c’est la parole au mâle blanc déboussolé. Tout ce qu’on vomit partout, tout ce qu’on méprise dans le monde d’aujourd’hui, tout ce contre quoi on se bat, elle le prend, elle le met sur une scène de théâtre, et elle nous fait rire avec d’un rire si franc qu’on se demande par quelle magie elle a opéré.
La magie, c’est son intelligence. Elle ne cherche jamais à attaquer Anouilh, à le décrédibiliser. Elle est dans le respect absolu des intentions du texte. Elle a fait confiance à sa puissance comique, évidemment, mais également à sa résonance infaillible avec notre époque. Car en le montant premier degré, et en s’effaçant totalement derrière sa pièce, elle fait entendre, sans jamais l’imposer, une musique évidemment dissonante du propos originel. Tout en en faisant un formidable divertissement.
On ne peut parler du travail d’Émeline Bayart sans mentionner la musique. Les chansons insérées dans un spectacle, c’est sa marque de fabrique. Ça fonctionne toujours très bien, c’est un bonheur pour les oreilles, mais ici c’est aussi autre chose. Ce n’est plus seulement Anouilh. C’est Anouilh par Emeline Bayart. C’est incroyablement malin. Ces ajouts rendent le spectacle mixte. Non seulement ils permettent d’atténuer la violence de ce qui se joue sur scène, mais le choix des chansons la rend inattaquable : on ne peut être soupçonné de phallocratie lorsqu’on chante Juliette sur un plateau.
Cet article est déjà trop long, mais on s’en voudrait de ne pas les mentionner : si le travail de mise en scène est brillant, celui des comédiens l’est également. Ce spectacle n’aurait pas supporté la demi-mesure, tous sont plutôt dans la triple ou la quadruple. Ils sont formidables, don d’eux-mêmes absolu, personnages défendus avec une ardeur rare, maîtrise totale de tous les ressorts comiques possibles de la pièce. Mention spéciale à Christophe Canard et Laurent Ménoret, qui composent des personnages absolument délicieux, à l’origine de mes plus grands éclats de rires.
La question se pose évidemment : pourquoi avoir ressorti cette pièce ? La raison première, je pense qu’on l’a dès l’ouverture du spectacle : elle y a vu un rôle pour elle. Ce rôle de castratrice, de femme au bord de l’hystérie, c’est son péché mignon, et on doit dire que c’est un peu le nôtre aussi. Mais ensuite ? Le rire a évidemment un effet libérateur. Toute l’auto-censure qu’on peut s’appliquer au quotidien s’envole avec lui. Et après le rire, qu’est-ce qu’il reste ? Quelque chose d’assez grinçant, comme un léger malaise, en vérité. Qui montre l’intimidation totalitaire dans le cadre de la justice, quel que soit le type de pouvoir. Qui met en lumière cette forme d’inquisition douce qui analyse tout en rapports de domination. Et qui, en prenant le problème actuel à contre-courant, en montre les excès. La démonstration est brillante, le rire a quelque chose de terrible, la partie est gagnée. Bravo !
C’est pas tous les jours qu’on voit ça. Merci les vieux réac ! Et merci Emeline Bayart, surtout.
La Culotte – Athénée Théâtre Louis-Jouvet
2-4 Sq. de l’Opéra-Louis Jouvet, 75009 Paris
A partir de 11,90€
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