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« Du Domaine des murmures » de Carole Martinez

Par Etcetera
« Du Domaine des murmures » de Carole MartinezCouverture chez Folio

Ayant beaucoup aimé « Le Coeur Cousu », le premier roman de Carole Martinez (née en 1966), paru en 2007, je savais que je relirais un jour ou l’autre l’un de ses romans suivants, et comme une amie m’avait fait l’éloge du Domaine des murmures, son deuxième ouvrage, j’ai souhaité tenter cette expérience et ce fut une lecture fort agréable .

Note Pratique sur le livre 

Éditeur : Folio (initialement : Gallimard) 
Année de première publication : 2011 
Nombre de pages : 226

Quatrième de Couverture

En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui » : elle veut faire respecter son voeu de s’offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe… Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et ce souffle l’entraînera jusqu’en Terre sainte. Carole Martinez donne ici libre cours à la puissance poétique de son imagination et nous fait vivre une expérience à la fois mystique et charnelle, à la lisière du songe. Elle nous emporte dans son univers si singulier, rêveur et cruel, plein d’une sensualité prenante.

Mon avis 

Au Moyen-Âge les croyances étaient nombreuses, entre les miracles, le culte des reliques, les peurs irrationnelles liées au divin ou au démon, les superstitions diverses… Et ce livre baigne la plupart du temps dans un climat de Surnaturel et de Merveilleux qui peut surprendre au premier abord car notre époque a développé un esprit scientiste et sceptique qui semble diamétralement opposé à celui du Temps des cathédrales. Pourtant Carole Martinez réussit à tenir son lecteur en haleine, quelles que soient ses croyances et ses attentes, et elle sait nous parler de ce Moyen-Âge très chrétien et de sa foi démesurée sans nous perdre en cours de route et sans trop nous désorienter. Ainsi, elle reste toujours à la lisière entre notre incrédulité contemporaine et la spiritualité médiévale, oscillant de l’une à l’autre. Il m’a semblé que c’était extrêmement bien fait et habilement pensé, même si un lecteur rigoureusement catholique n’y trouverait peut-être pas son compte.
Du point de vue de l’atmosphère et de l’écriture j’ai parfois pensé à Flaubert – toutes proportions gardées, compte tenu des époques différentes – et notamment à la Légende de Saint-Julien l’hospitalier, par le mélange de merveilleux, de cruauté et de recherche stylistique raffinée. J’ai aussi apprécié tout particulièrement, dans « Le domaine des Murmures » les scènes liées aux Croisades, qui donnent lieu à des descriptions incroyables de désolation et de carnages, frôlant le surnaturel. 
Il y a aussi un fond de féminisme, qui manque de discrétion – qui est même franchement anachronique, il faut le reconnaître – mais ce parti pris de l’auteure m’a semblé défendable, puisque ce roman adopte un point de vue contemporain et ne cherche pas à jouer les pastiches moyenâgeux. L’héroïne, Esclarmonde nous paraît d’abord victime de l’oppression des femmes qui avait cours au Moyen-Âge, où il n’y avait pas d’autre alternative que le mariage arrangé par les parents ou, sinon, la réclusion perpétuelle dans la religion. 
Bien sûr il y a un aspect historique dans ce livre mais, pour autant, je pense qu’il n’est pas du tout un « roman historique », dans le sens où le style et le talent de l’auteure nous captivent et nous happent dans un monde romanesque richement inventif et propre à Carole Martinez, très au-delà (et en-dehors) d’une simple reconstitution d’un Moyen-Âge scrupuleusement documenté et un peu scolaire, telle qu’on peut en voir ordinairement. 
Vous aurez compris que j’ai vraiment beaucoup aimé ce roman, autant pour le pouvoir d’évocation de son écriture que pour sa débordante imagination, pour la sensualité de ses descriptions et sa manière de nous plonger dans un Moyen-Âge revisité et réenchanté. 
Très beau ! 

Un Extrait page 180 

Un midi de plein été, Bérengère a chassé sa cour de galants avant de s’avancer seule jusqu’à moi dans le soleil. 
Les pans de sa jupe verte ondoyaient si harmonieusement autour de ses courbes que j’ai cru que la Loue elle-même – ce cours d’eau voilé par endroits de longues algues lascives affleurant la surface et abandonnées aux caprices du courant – venait, majestueuse, à ma rencontre. La faim me troublait l’esprit au point qu’il m’a alors semblé que cette géante à la démarche fluide se changeait progressivement en rivière. Ses prunelles et sa longue chevelure blonde elle-même ne se chargeaient-elles pas de nuances vertes ? Il fallait bien qu’elle fût victime de quelque sortilège pour attirer soudain dans son sillage tout ce que ce pays comptait d’hommes, ai-je songé alors, en cherchant à surprendre à sa surface, comme à celle d’une onde, mon reflet brouillé. 


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