Bird Gardner, douze ans, vit seul avec son père depuis que sa mère a disparu du jour au lendemain. Depuis, suivant les recommandations de son père, il a pris l’habitude de faire profil bas, de ne pas inutilement attirer l’attention sur eux. Mais, lorsqu’un beau jour, Bird reçoit un étrange message provenant probablement de sa mère, il décide de partir à sa recherche… quitte à se faire remarquer.
Dans cette dystopie, Celeste Ng (Tout ce qu’on ne s’est jamais dit) imagine une Amérique qui se relève péniblement d’une crise économique sans précédent et dont la Chine est pointée du doigt comme principale responsable. Du coup, le régime autoritaire qui a pris le pouvoir après la Crise a décidé de mettre en place des mesures draconiennes afin de surveiller les personnes d’origine asiatique et de réprimer tous les comportements jugés antiaméricains, notamment en instaurant le PACT (Preserving American Culture and Traditions Act), la loi sur la sauvegarde de la culture et des traditions américaines.
À l’instar de « 1984 » cette fiction déroulée par Celeste Ng fait froid dans le dos tellement ce monde fictif se situe dans le prolongement immédiat du notre. L’autrice n’a fait que s’inspirer de quelques événements s’étant déjà produits par le passé et de quelques éléments de notre quotidien, puis a intelligemment poussé le bouchon un peu plus loin, juste de quoi nous faire frémir en laissant apercevoir un futur finalement pas tellement éloigné du notre. Une sorte de mise en garde nous invitant à ne plus continuer dans la même direction car nous vivons pour l’instant les prémisses de cette dystopie !
Réduction des libertés individuelles, stigmatisation et surveillance accrue d’une partie de la population et dénonciations de vos concitoyens au moindre soupçon d’antipatriotisme sont donc logiquement au menu de ce futur imaginé par l’autrice. En y ajoutant la destruction de livres considérés comme réfractaires au régime et l’enlèvement d’enfants au sein de familles suspectées d’inculquer une éducation contraire à l’intérêt de la nation, pour les placer dans de « bonnes » familles d’accueil américaines, elle ne fait qu’ajouter quelques ingrédients qu’elle n’a même pas eu besoin d’inventer…
Si l’environnement qu’elle dépeint s’avère particulièrement sombre, il n’est cependant pas dénué d’espoir, à l’image de ces bibliothécaires héroïques qui prennent tant de risques pour conserver la mémoire des choses et pour continuer à véhiculer les informations de la résistance. Et que dire de cette rébellion non violente au régime, mêlant poésie et Art guérilla, visant à luter contre l’oppression en éveillant la conscience des gens à travers des actions pacifiques et artistiques. Car, au final, Celeste Ng invite à réfléchir sur le pouvoir des livres et des mots en général, face à des régimes qui n’hésitent pas à censurer la parole et à interdire certaines lectures.
Outre cette lueur d’espoir insufflée à travers plusieurs formes artistiques, il faut également saluer le côté foncièrement humain du récit, qui met en avant le lien maternel et paternel qui lie le petit Bird à ses parents et à ses origines asiatiques, ainsi que le lien d’amitié très fort qu’il tisse avec l’attachante petite Sadie. On sent clairement que l’autrice, dont les parents sont originaires de Hong Kong, a puisé dans son histoire personnelle pour pointer du doigt le racisme anti-asiatique dont sont victimes les personnages. Quand on grandit dans un pays dont le Président appelle le Covid 19 « Le virus chinois », cela laisse forcément des traces…
Nos cœurs disparus, Celeste Ng, Sonatine, 384 p., 23,50 €
Elles/ils en parlent également : Yvan, Kitty, Stelphique, Julie, Miss Molko, Mélie, Nicole, Ma voix au chapitre