Critique d’Un train pour Milan, librement inspiré des récits de Dino Buzzati, vu le 7 septembre 2023 au Théâtre de la Huchette
Interprété et mis en scène par François Feroleto
J’ai découvert François Feroleto cet été, à Avignon, dans le spectacle Dolores – redécouvert en réalité puisque je l’avais déjà vu il y a quelques années dans Avant de s’envoler au Théâtre de l’Oeuvre mais Zeller ne m’a jamais vraiment réussi… C’est en le recroisant dans un théâtre d’Avignon que j’ai appris, en tendant mes grandes oreilles, qu’il montait ce spectacle à la Huchette à Paris. Le rendez-vous était pris.
Rendez-vous dans une cellule, donc, puisque le personnage que nous découvrons est un prisonnier condamné à perpétuité. Il va avoir une occasion de regagner sa liberté. Une seule. Ce sera dans une heure. Sa famille sera là. Et c’est en pensant à son fils, qui doit avoir bien grandi depuis la dernière fois qu’il l’a vu, qu’il commence son récit. Qu’il nous conte son histoire. Et qu’on se retrouve projeté dans cette Italie usée par la Seconde Guerre Mondiale, d’abord en Calabre puis plus au nord, à Milan, à la recherche de son salut.
Je lis rapidement le résumé avant d’entrer en salle – chose étrange car je ne le fais normalement jamais – et je suis emballée. Cette histoire de prisonnier qui doit se défendre face à la foule évoque vaguement quelque chose en moi mais ça ne va pas plus loin. La curiosité l’emporte. Découvrir un spectacle à la Huchette, c’est toujours particulier. Parce que c’est un écrin particulier, parce que le rapport scène-salle est unique, parce qu’on se demande toujours quels tours de passe-passe ils vont trouver pour nous faire voyager depuis cette petite salle.
Et je monte dans le train. Je monte dans le train avec plaisir. Je n’ai qu’à me laisser porter par François Feroleto. Il est captivant. Il a une voix de conteur, un corps de bagnard, et un regard qui transporte ailleurs. Un regard qui jure avec la posture qu’il s’est composé, permettant de faire vivre l’étonnante palette de son histoire – mais nous y reviendrons. Les lumières de Denis Koransky, qui lui permettent de véritables métamorphoses sur scène, servent également ce récit au large spectre.
Pourquoi tant de mystères sur cet étonnant récit ? Probablement parce que je suis un peu frustrée par ce spectacle. J’ai du mal à me positionner. Je passais plutôt un bon moment. J’étais bien dedans, écoutant le récit du personnage avec attention, avec envie même, désireuse de connaître la suite. J’étais un peu dérangée par la narration mais sans vraiment en comprendre la cause. Jusqu’à ce que ça fasse tilt.
J’ai lu Le K au collège et certaines nouvelles m’ont tellement plu que je les ai relues un nombre incalculable de fois. C’est le cas notamment de Douce Nuit et du Veston ensorcelé, qui font partie du récit monté par François Feroleto. J’ai compris en les découvrant pourquoi la narration me semblait étrange et pourquoi le résumé de la pièce m’évoquait quelque chose. C’est en réalité un assemblage de nouvelles de Buzzatti et d’écrits personnels de Feroleto. Pour adhérer totalement au spectacle, il faut accepter cette espèce de collage qui a quelque chose d’à la fois poétique et légèrement artificiel. C’est un résultat un peu étrange, un voyage un peu saccadé, qui compose avec des styles différents et qui ose même incorporer en son sein des bouts d’histoire qui n’ont pas grand chose à voir avec la choucroute. C’est étonnant, mais j’aurais sans doute davantage adhéré si les nouvelles choisies n’existaient pas de manière totalement indépendantes dans ma tête.
C’est une soirée étrange. Pas désagréable en vérité. Mais étrange.