Taras Chevtchenko (1814-1861) est un poète, peintre, ukrainien, ayant passé 10 ans de sa vie en servage (il en est affranchi à 24 ans et luttera toute son existence contre le servage) et 10 ans en exil (interdit de peindre et d’écrire par le tsar lui-même). Son nom reste un des symboles les plus marquants du réveil de l'esprit national ukrainien au XIXe siècle. Les éditions Bleu et Jaune ont publié en août 2023 Kobzar dont deux versions, l’une censurée, l’autre non censurée, ont été publiées en 1840. Le dessin ci-contre est la reproduction du frontispice de la première édition, dessiné par V.I. Sternberg, introduisant cet ouvrage.
Voici un extrait d’un des poèmes de Kobzar. Le mot « kobzar »désigne un barde itinérant qui accompagne son chant de la kobza, instrument de musique ukrainien à cordes.
Le vieux kobzar errant, aveugle,
Qui ne le connaît ?
Il erre en tous lieux
Et joue de la kobza. Et celui qui joue est connu,
Les gens le remercient :
Il dissipe leur chagrin,
Bien que le monde l’afflige lui-même.
Sous une haie, ce pauvre hère
Passe ses jours et ses nuits ;
Il n’a nulle part où aller.
Le mauvais sort se moque
De sa tête chenue,
Mais peu lui chaut…
Il s’assied et chante
« Ô pré, ne bruis pas ! »
Il chante et se rappelle
Qu’il est un orphelin ;
Il reste assis sous une haie
Envahi de chagrin.
Tel est le kobzar errant,
Vieillard étrange !
Il entonne Tchalyi, un chant,
Puis La Tourterelle, une chanson.
Avec les jeunes filles dans le pré —
C’est Hryts et Une printanière ;
Le Serbe et La Cabaretière —
Avec les gars, après.
Avec les hommes mariés, au banquet,
Il chante une chanson où une méchante belle-mère
Transforme sa bru en peuplier,
Ensuite — Dans le bosquet ;
Au marché — c’est au tour de Lazare,
Ou bien, pour que les gens le sachent,
Il chante, le coeur lourd, avec tristesse,
Comment on a détruit la Sitch.
Tel est le kobzar errant,
Vieillard étrange !
Il chante et puis il rit,
Et, soudain, il éclate en sanglots.
(en italique, ce sont des chansons ; la Sitch est un campement militaire des Cosaques détruit en 1775 sur ordre de Catherine II)