Tout comme dans les interviews de témoins dont on a changé l’identité, elle a donné à ses personnages des prénoms fictifs, mais un coup d’œil sur sa biographie indique qu’il s’agit de l’histoire de sa propre mère, découverte au fil des années et de la révélation de secrets inavouables.
Ce récit est donc l’exact négatif, par exemple, des récents ouvrages de Nicole Bacharan ou Roselyne Bachelot, et il est bien confortable de savoir que ses parents – comme moi - furent héros de guerre. Car il y avait, dans la France de Vichy, bien davantage de suiveurs, ou de pro-nazis convaincus comme la Lucie du roman …
C’est aussi une histoire d’amour immense entre Frédéric/Friedrich, bel Aryen alsacien qui a choisi la médecine génétique, suit les théories raciales de Josef Mengele, et Lucie, qui va travailler en toute conscience à traduire et surtout à concevoir à l’intention des Français occupés des slogans favorables à la collaboration. Elle étudie le droit, la langue allemande, est passionnée d’onomastique, est adepte du darwinisme social, et bien entendu professe un violent antisémitisme, antimaçonnisme, antibolchevisme.
En 1944, la Libération est une catastrophe pour Lucie et son gynécée. Son jeune mari est tué, elle doit, avec toute sa famille, entrer en clandestinité. Jeune veuve à 24 ans, très belle, très brillante, elle réussit à se remarier avec un jeune intellectuel issu de l’ENA, une façon de se fondre dans la France libérée, elle aura quatre enfants mais fera supporter à son mari bien indulgent le souvenir omniprésent du bel adonis germanique.
C’est cette manière de dissimulation dans la durée qui est particulièrement intéressante à décrypter. Comment vivre dans une France renaissante, mais demeurée fondamentalement ingulgente à l'antisémitisme ambiant. Le style est efficace, corrosif, plein d’un humour noir et montre à travers les mots comment une enfant perçoit sans comprendre des situations mensongères, des trafics immondes, des notions inintelligibles et angoissantes, une vie au milieu de mensonges qui vont orienter la narratrice vers la connaissance de cette période troublée de notre histoire.
Tous les protagonistes de cette histoire rocambolesque sont morts à peu près nonagénaires. Je gage et j’espère que l’autrice a enfin pu, en écrivant de roman-témoignage, se débarrasser de son lourd fardeau.
La propagandiste, roman de Cécile Desprairies, édité au Seuil, 217p., 19€