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La péninsule aux 24 saisons

Publié le 15 septembre 2023 par Adtraviata
La péninsule aux 24 saisons

Quatrième de couverture :

Dans un paysage de mer et de falaises d’une beauté paisible, bien loin de Tôkyô, une femme en désaccord avec le monde entreprend la redécouverte d’elle-même et passe des jours heureux d’une grande douceur.
En compagnie de son chat, elle fera durant douze mois l’apprentissage des vingt-quatre saisons d’une année japonaise. A la manière d’un jardinier observant scrupuleusement son almanach, elle se laisse purifier par le vent, prépare des confitures de fraises des bois, compose des haïkus dans l’attente des lucioles de l’été, sillonne la forêt, attentive aux présences invisibles, et regarde la neige danser.
Vingt-quatre saisons, c’est le temps qu’il faut pour une renaissance, pour laisser se déployer un sensuel amour de la vie.

En août, pour mon Picquier du mois, j’ai choisi ce roman parce que son titre évoque la mer, un thème récurrent dans mes lectures du moment. J’ai déjà lu 20 ans avec mon chat de la même autrice au début de l’année, elle évoque d’ailleurs dans ce récit ce premier chat avec lequel elle a vécu de nombreuses années.

Dans ce livre, INABA Mayumi quitte Tokyo pour plusieurs mois pour vivre dans la résidence secondaire acquise par ses parents. Elle va vivre au rythme des 24 saisons de l’année japonaise, chaque mois étant divisé en deux et permettant ainsi une fine observation de la nature et des travaux à mener au jardin. Au début elle passe beaucoup de temps à débroussailler, à désherber, à aménager son intérieur de façon minimaliste. Elle se contente de peu, elle vit surtout de ce que lui offrent les saisons, elle n’achète pas de vêtements et laisse même ses livres traîner dans les cartons. Elle passe beaucoup de temps à marcher, à arpenter la forêt, à observer la péninsule et à faire connaissance avec ses voisins apiculteurs, teinturiers, personnes âgées. Ces mois de retrait de la vie urbaine lui permettent de surmonter le deuil d’une amie et son divorce. Mais elle accueille – surtout à la saison des lucioles – sa mère, qui revit dans la péninsule après son amputation d’une jambe et s’amuse à écrire des haïkus avec sa fille.

Ce fut bien agréable de lire ce récit poétique, à la fois méditatif et bien ancré dans la réalité de la vie entre terre et mer, à l’écoute des voisins et des histoires locales. La narratrice évoque la vie et la mort, les plantes, les fleurs et les fruits, le temps qui passe, la vieillesse qui approche, les lucioles qui illuminent les nuits d’été, la neige qui recouvre légèrement le sol. C’est une belle expérience multisensorielle, un livre plein de délicatesse, et la qualité de la traduction participe certainement du plaisir de lecture.

« Je fais brûler encens sur encens, et mon plaisir de chaque soir est de contempler depuis ma terrasse le mouvement de la lune et des étoiles. Je m’étends sur une chaise longue et je regarde d’un œil nonchalant la voûte céleste. Alors, un remous traverse mon corps de la tête aux pieds. Est-ce le tremblement de la rotation de la Terre ? J’éprouve une sensation inconnue qui m’enveloppe tout entière, comme si mon corps et le ciel étaient liés pour un instant. En même temps, sans se perdre, mon être reste attaché à la terre, et j’ai l’impression sans pouvoir me l’expliquer que j’assiste à un miracle. Le frémissement du vent nocturne, le bruissement léger des feuilles font-ils fondre mes cinq sens, le corps et ses organes se séparent sans hésitation du temps humain, pour se transformer en une chose inconnue. Ah, est-ce ainsi que le corps quitte la chair ? Est-ce cela, la sensation du néant ? Il me semble que quelque part, très loin, je me suis introduite dans le corps d’un être inconnu. »

« Même des bribes de souvenirs, les morceaux d’un vase, d’une assiette ou d’un bol cassés sont imprégnés du temps, ils portent la marque des jours où ils étaient vivants, car utilisés. Les vieilles tuiles noires rappellent la pauvreté de l’ancienne maison, la chaleur du soleil qui gonflait matelas et édredons, le bol au bord ébréché qui rappelait sans nul doute à ma mère l’odeur de la cuisine où elle s’affairait en rentrant de son travail. Elle ne disait rien mais son regard qui allait d’un objet à l’autre cachait mal l’ardent désir de retrouver ce temps si lointain déjà. »

« Est-ce Buson qui a chanté l’« aveuglante lumière de la lune sur les rochers de l’hiver » ? On croit entendre le craquement de la lumière sur les branches, sur la moindre pierre. Les ombres noires dans la forêt, la rangée de petits arbres devant l’entrée, la route qui passe devant la maison en plan incliné, tout déborde du crépitement silencieux des éclats tranchants du clair de lune. Moi, je me penche sur la profondeur des ténèbres silencieuses où ni voiture ni âme ne passe, et mon oreille savoure l’ineffable plaisir d’être absorbée par la densité du silence. »

« Je m’étonne moi-même de la quantité de livres contenant des photos que je sors des cartons, des livres pleins de blancs. A peine quelques volumes remplis de textes imprimé serré. Les journées que je passe dans la péninsule sont comme les blancs de ma vie. J’en ai par dessus la tête des journées remplies du matin au soir de choses à faire. Je voudrais ici autant que possible vivre des journées en blanc. Rejeter les idées compliquées qui déteignent sur ce blanc. Cette prise de conscience m’a sans doute fait choisir des livres aérés. »

INABA Mayumi, La péninsule aux 24 saisons, traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, Editions Philippe Picquier, 2018


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