Habile variation ambivalente du clair / obscur, The Dark Knightt impressionne tout d'abord par sa force d'ambiance. Comme le laissait présager la fin de Batman Begins, une nouvelle race de criminels est en marche et le film ne négligera en rien cet aspect. Dès les premières minutes électriques (sensationnelle mise en place via le braquage de banque), le spectateur est plongé dans le bain. Ca va vite, ça frappe fort et le rythme ne faiblira pas tout au long des 2h30 de film. Mieux : plus l'intrigue avance, plus la complexité du scénario transparaît. Nous nous enfonçons alors dans les tréfonds des âmes humaines où la morale n'existe plus et où les barrières sautent. Le chaos, dessiné en surface s'épaissit au fur et à mesure pour se finir sur une tonalité aussi grave qu'innattendue et très pessimiste.
Sombre et glauque, le film l'est férocement et indéniablement. Réglé avec la précision d'une montre suisse, le schéma tactique de Nolan se déploie sous nos yeux ébahis. La toile se tisse puis le piège se referme peu à peu, laissant le spectateur sur les rotules à force de rebondissements calculés au millimètres dont chaque impact s'avère fracassant. Un grand thriller épique ne négligeabnt en rien les scènes spectaculaires (la banque, les retrouvailles avec l'épouvantail, l'interrogatoire sadique du Joker, l'attaque du fourgon blindé, l'hôpital, le final dans l'immeuble en construction...)
Aidé par un montage magistral, Nolan déploie toute son ingéniosité à anticiper les réactions des héros et nous avec. Gigantesque jeu du chat et la souris pimenté par un face à face à multiples facettes, The Dark Knight fait surtout office de kalidéoscope fascinant dont aucun détail n'est laissé au hasard si bien que tout ceci en devient presque jouissivement insolent.
L'autre point fort du film est la présence des deux méchants pour qui l'agencement du film est une botte secrète de choc. Avec un Batman en retrait (formidable Christian Bale), Nolan laisse libre cours à la force obscure de ses bad guys (Joker et Double-Face) et insuffle même un troisième "méchant" en la personne de Bruce Wayne lui-même. En effet, ici, c'est le miliardaire qui tient la majorité de ses scènes contrairement à son double et qui fait face à ses doutes, ses craintes et au poid de ses actes libéré de son costume. Plus hardcore et nerveux que jamais, le Batman, une fois son costume revêtu, fait preuve d'une impitoyable force d'action, sorte de thérapie puissance 10.
Mais c'est bien entendu dans le registre de l"obscur" que le film gagne des points. Le Joker et Double-Face faisant office de double maléfique pour Gotham. Ici, c'est Harvey Dent / Double-Face qui fait office de méchant principal. Avant ou après son accident, le procureur s'impose comme le vrai "mal" de l'histoire : une première partie sous jacente proche de notre quotidien et une seconde (avec défiguration) plus démonstrative, où les notions de justice et de choix partial ou non sont entièrement remises en questions.
C'est là que la profondeur du long métrage gagne en puissance pour surtout laisser place à l'entière compréhension de la part du spectateur : où comment un homme de loi incorruptible et vierge de toute pervertion va basculer dans la folie et le côté "sale" de la criminalité. Une explosion de rage d'autant plus effrayante qu'elle est absolument compréhensible, là encore nous conserverons le secret.
Sorte de cousin éloigné et frapadingue de Tyler Durden, le Joker quant à lui, joue l'élément perturbateur numéro 1. Présent tout au long du film, même lorsqu'il n'apparaît pas à l'écran, il émane de lui un charisme et une folie furieuse constante. Précisément le moteur de l'enchaînement de catastrophes et événements machiavéliques du film (mais chut !), le Joker s'impose comme un trouble fête pervers, sadique, extrêmement dangereux mais surtout arbitre de notre propre conscience. En remettant en question tout un pan de la criminalité et du disfonctionnement d'une société corrompue jusqu'à la moëlle, ce terrifiant personnage devient aussi horriblement attachant que peut-être la voie de la raison plongée dans l'anarchie et le chaos.
Fable émérite sur l'être et le paraître, s'interrogeant sur le devoir et le sens des responsabilités, The Dark Knight est une redoutable machine, rouleau compresseur entre blockbuster d'action époustouflant et drame psychologique saisissant.
Monté avec virtuosité, possédant un cadrage à tomber par terre, dopé par une bande originale au souffle épique et original (chaque personnage possèdant son propre thème), filmé avec un infini sens de l'esthétique, The Dark Knight est un opéra grandiose, tragédie fulgurante et à la finalité triste à pleurer. L'absence d'espoir consituant le détail qui fait la différence sur la morale.
Le film de Nolan subjugue également sans conteste via son casting impérial. Christian Bale en justicier désarmé joue autant la désinvolture que la force ou la détresse. Michael Caine et Morgan Freeman assurent le minimum de la Wayne Team mais en imposent. Maggie Gyllenhaal nous fait aisément oublier Katie Holmes et s'affiche en femme partagée entre deux hommes, deux justices, deux vies. Son jeu intimiste lui évite le simple rôle de potiche que tutoyait un poil Holmes dans le premier volet quant à Gary Oldman, son rôle de Commissaire Gordon prend beaucoup plus de consistance et tant mieux.
Dans le rôle de Harvey Dent / Double Face, Aaron Eckhart est formidable. Habité et violemment ambivalent, Eckhart ne surjoue pas et déploie le maximum en un minimum d'efforts. Un remarquable tour de force.
Mais l'atout maître de The Dark Knight se prénomme Heath Ledger. Au-delà des qualificatifs et du censé, son interprétation du Joker est tout bonnement sidérante, bluffante et hystérique. Comme rarement, l'acteur disparaît au profit du personnage. On ne voit que lui : le Joker. Prestation strictement hallucinante à en coller des frissons, le personnage du Joker s'impose ici comme ce que la BD initiale l'avait créé : psychopathe incontrôlable, criminel extraverti et très intelligent, phénomène de foire et fantôme insaisissable. La disparition prématurée et tragique de l'acteur peu après le tournage contribue bien entendu au sentiment d'étrangeté du personnage et au léger sentiment de malaise que peut procurer certaines de ses apparitions mais autant dire que Nolan lui livre un véritable hommage durant 2h30 de bobine.
Une sortie en beauté pour un talent fou. Amer regret.
Nous pourrions passer des heures à narrer The Dark Knight et à en expliquer toutes les facettes seulement, plusieurs visionnages sont nécessaires pour en comprendre la protée et la pertinence. Dense et profond, cet objet de fascination n'a pas fini de faire parler de lui et d'hanter les mémoires.
Un vrai film de super-héros rendant au mythe de l'homme chauve souris ses lettres de noblesse mais surtout un éblouissant drame doublé d'un brûlot politique fracassant. Un très grand film dont le seul défaut réside dans une partie du dénouement un brin étouffée ainsi que quelques légers trous visibles dans l'intrigue (3h étant nuen durée évitée pour une telle machine). Nous aurions tellement aimé plus... mais pouvions nous espérer mieux que ce film quasi parfait ? Une director's cut rétablira t-elle la balance ?
Il semblerait que oui d'après les premières rumeurs... près de 15 minutes manquantes selon certains. Toujours est-il qu'en l'état, The Dark Knight se conclut sur une affreuse note pessimiste mais un rebondissement joussif et logique. Nolan inscrit son long-métrage dans l'Histoire et devient la pièce maîtresse d'une trilogie dont le troisième épisode s'annonce aussi palpitant qu'intriguant (à la vue du final de cet opus).
Un immense film au charme sombre et froid mais à la puissance radicale. Une oeuvre éblouissante et ravageuse qui vous laissera en larmes devant tant de maîtrise.
On tutoie le chef d'oeuvre. C'est beau. Chapeau bas !
Pourquoi y aller ?
Pour la scène d'intro. Pour la scène du crayon. Pour l'attaque du fourgon blindé. Pour chaque apparition du Joker. Pour la scène de l'hôpital. Pour le plan du Joker (suspens...). Pour la conclusion sombre à souhaits. Pour la B.O. Pour le choc à la première vue de Double-Face. Pour la maestria des storylines. Pour l'ensemble du film tout simplement...
Ce qui peut freiner ?
Rien du tout... tout simplement.