Mon horizon, constitué maintenant de montagnes et de forêts,
et mon quotidien, où presque chaque jour, je vois un animal sauvage (chevreuil,
lapin, mouffette, raton laveur, et j'en passe) écrasé sur la route, nourrissent de plus
en plus fort ma réflexion sur la place de l’humain dans la nature. Trois
lectures récentes ont également encouragé mes questionnements :
-
L’oiseau de pluie, de Robbie Arnott,
Éditions Alto, 2022
-
Le droit du sol, journal d’un vertige,
d’Étienne Davodeau, Éditions Futuropolis, 2023
-
Les pistes invisibles, de Xavier Mussat,
Éditions Albin Michel, 2021
Lire ces trois œuvres, exceptionnelles à mes yeux, deux
bandes dessinées et un roman d’un auteur néo-zélandais que je ne connaissais
pas du tout, l’une à la suite de l’autre, a été un heureux hasard. Un fil rouge
les relie, elles sont hantées toutes les trois par l’empreinte que laissent les
humains sur la nature, sur le sol, sur la terre, les conséquences des actes
posés au cours de l’Histoire et particulièrement depuis l’ère industrielle.Dans
Les pistes invisibles, un homme
se fond dans la nature pendant 25 ans, il arrive à devenir invisible, et
l’auteur français Xavier Mussat parvient à illustrer de façon magistrale son
invisibilisation, ses souvenirs constituant le seul matériau auquel se
raccrocher. Le travail graphique, d’une beauté renversante, et la narration,
précise et accomplie, offrent un voyage dans l’esprit d’un homme marginal et
sûrement un peu fou, tenté par une expérience extrême, qui le happera durant
tout ce temps. Il s’unit à la nature pour ne faire qu’un avec elle. Mais est-ce
vraiment possible?
Dans
Le droit du sol, journal d’un
vertige, l’un de mes auteurs de bd préférés, Étienne Davodeau - qui nous a
offert de grandes bandes dessinées documentaires ou de fictions engagées telles
que
Les ignorants, ou
Rural! Chronique d'une collision politique
- part lui aussi dans une quête un peu folle, un projet militant visant à
rejoindre deux lieux en France. Le premier de ces lieux représente un vestige
des premières traces humaines paléolithiques trouvées, dans la grotte de Pech
Merle, dans le Lot (Sud-ouest de la France). Le point d’arrivée, Bure, dans la
Meuse, incarne les conséquences de la recherche nucléaire, qui produit des
tonnes de déchets que l’on envisage enfouir dans le sous-sol de ce village de
l’Est de la France, commune qui fait partie de ce qu’on appelle couramment en
France « La diagonale du vide » : c’est ce qu’on apprend à
l’école française dans les cours de géographie… Le trajet de 800 kilomètres
qu’Étienne Davodeau entame à pied donne lieu à des réflexions qu’il mènera avec
plusieurs spécialistes, qu’il convoque à ses côtés sur les pistes des GR qu’il
emprunte (sentiers de Grande Randonnée, qui sillonnent la France, les plus
connus sont le GR10, qui traverse les Pyrénées, et le GR20, célèbre sentier de
la Corse), parfois virtuellement, parfois réellement. On rencontre ainsi un
ingénieur repenti de l’énergie nucléaire, et même une spécialiste de la
sémiologie, une rencontre fascinante. Étienne Davodeau adopte toujours une
approche pédagogique dans ses ouvrages, et il fait preuve d’une forte
sensibilité sociale. Très instructif et vraiment décourageant. Si vous êtes
sujet à l’éco-anxiété, je ne vous le recommande pas, même si ce serait tout de
même dommage de passer à côté de cette bd sensible.
Dans
L’oiseau de pluie, Robbie Arnott illustre les liens entre les
humains et la nature en imaginant un oiseau magique, un héron magnifique,
capable de provoquer des tempêtes détruisant les cultures aussi bien que des
accalmies miraculeuses durant de nombreuses années. Dans un pays imaginaire à
feu et à sang, qui subit les conséquences d’un coup d’État, les destins de
plusieurs personnages, Ren, Harker, Daniel et quelques autres se croisent et incarnent,
dans une sorte de réalisme magique, mystique, les conséquences des actes des
hommes sur la nature. C’est beau et dur, impitoyable : dans le contexte
des feux de forêt puissants et des inondations qui ont cours un peu partout, ce
texte est d’autant plus percutant.En couverture, une illustration de Petros Koubris, un photographe grec dont je
découvre le magnifique travail. Cette image, si bien choisie par les Éditions
Alto, participe à cet acte de contemplation de notre monde et de sa nature. Le
héron s’envole, mais nous, pauvres humains, on reste les pieds plantés sur
terre, et on cherche, on cherche comment survivre.
Compléments :
Le site du photographe Petros KoubrisUn entretien avec Robbie ArnottLa leçon de dessin d'Étienne DavodeauEntrevue de Xavier Mussat dans l'émission Totemic
Humeurs musicales : Dominique Fils Aimé, Feeling like a plant (album Our Roots Run Deep, à paraître dans les prochains jours)
Quantic & Nidia Gongora, Adiós Chacón (album Almas Conectadas)