Pauvre folle, de Chloé Delaume (éd. du Seuil)

Clotilde Mélisse voit arriver la fin du monde, et voudrait en finir, justement, avec ce monde. Mais par où commencer ? et comment y aller ? Elle a choisi le train, avec une correspondance, pour bien avoir le temps. Le train vers Heidelberg, le romantisme allemand. Quatre heures de trajet. Il faut la voir sortir, pièce après pièce, les morceaux du puzzle fait de ses souvenirs. Et depuis le premier : la poésie, un poème de Rimbaud, Ophélie, « fantôme blanc sur le long fleuve noir »… « La poésie ne sauve pas / la poésie ne sauve rien / mais il y a la poésie », a écrit Sylvia Plath. Et chaque pièce trouve, parfois difficilement, sa place, faisant jouer ses relations avec les autres souvenirs. Tout trouve lien sur la tablette du Thalys. Et il ne faut pas croire qu’il ne s’agit que d’amour, d’une histoire impossible entre deux êtres. N’oublions pas que la fin du monde est annoncée. La fin du patriarcat, qu’auparavant elle désignait sous le terme de phallocratie. La fin du romantisme, peut-être la fin de l’amour tel que l’ont porté la littérature et le cinéma (elle griffe, Chloé Delaume, quand on lui dit ces mots-là). La fin du monde n’aura sans doute pas la forme prévue.

On souffre avec Clotilde Mélisse, on participe à ses tentatives et on rit quand ça grince, même parfois au point de faire saigner « les oreilles de Citrouille », son chat. Et c’est un livre qui s’inquiète de la littérature, de la poésie qui « ne sauve pas, ne sauve rien » mais qui est.

J’ai quelquefois pensé à ce vers de Racine, extrait de Phèdre : « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée ». Un autre livre m’est venu aussi à l’esprit, L’occupation, d’Annie Ernaux, pour ce qu’elle y montre d’être occupée jour et nuit par l'idée de quelqu’un d’autre. Enfin, le hasard a fait que j’ai lu plusieurs pages du livre de Chloé Delaume dans la salle d’attente d’une clinique vétérinaire où était soigné le chat qui partage mes jours.